La Corée du Sud de vos rêves

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Ah, la Corée du Sud. Ses cosmétiques qui transforment votre visage à s’y méprendre avec une calculatrice en véritable peau de bébé, ses palais et ses sites historiques à couper le souffle, sa nourriture goûteuse et bon marché, sa haute technologie, son verglas super traître, ses plages et ses gens très beaux mais pas toujours de naissance.
Cette nouvelle destination prisée des Français (pour ne pas dire jeunes françaises… les coquines), ce pays petit mais costaud qui résiste à l’envahisseur et charme de plus en plus les Occidentaux…

Ne rêvez-pas trop. Comme l’odeur des salarymen au Japon ou M. Pokora chez nous, la Corée du Sud a bien évidemment son envers du décor. Sa tare que l’on préfère taire. Son point noir sur le bout du nez.
Et bien entendu, en bonne briseuse de rêve, je m’en vais vous attrister un peu.
Je vous avais promis il y a un déjà un bon moment – j’ai un véritable emploi du temps de ministre de la flemme, que voulez-vous – un spin-off d’un de mes posts les plus populaires sur le Japon. Avec ce titre, vous comprenez qu’il ne s’agit que du fort traumatisant Le Japon de vos rêves.
Je vous rassure, je ne vais pas vous pondre dix nouvelles pages sur les cafards coréens accros au botox.
Pourtant, j’avoue avoir pris l’avion pour la Corée du Sud pleine de méfiance : on m’avait bien prévenue que le pays n’était pas épargné de l’envahisseur immortel aux grandes antennes.
J’avais espéré que, le pays étant très froid en hiver, l’été serait plus clément qu’au Japon et nous épargnerait ces horreurs luisantes. Mais non, le monde est sans pitié et on m’avait rabrouée d’un « mais bien sûr qu’il y a beaucoup de cafards en Corée, ma grand-mère les écrase à main nue ! ».
Charmant.
Rappelle-moi de ne pas serrer la main de ta grand-mère si tu me la présentes, merci.

Avec cette information fracassante, on avait détourné mon attention du véritable mal coréen. Je préparais mon petit cœur à de nouvelles aventures odieuses, à des matins calmes troublés par des chuintements de sacs et autres bruits suspects dans les murs comme dans ce bon vieux Japon.
Ainsi, on ne m’avait pas prévenue que la menace était ailleurs, bien plus fourbe encore.

J’avais pourtant eu des signes qui auraient dû me mettre la puce à l’oreille.
La Corée me riait au nez quand j’avouais ma phobie inconditionnelle des cafards et l’horreur de mes étés, trouvant cette peur cocasse quand il y avait en fait bien pire que ces petites bêtes insignifiantes.
Pire ?
Non, sincèrement j’en doute.

J’aurais également dû me méfier quand je voyais l’Autochtone braver fièrement une énorme blatte dans une chambre tandis que je me terrais courageusement dans une autre en pleurant sous la couette ; alors que cette même personne pouvait me taper un flan frisant la crise d’hystérie au moindre « Bzz » suspect dans l’appartement :
« Putain, rallume-tout et sors les spray ! Je ne dors pas tant que cette ordure est encore vivant ! Je préfère cohabiter avec mille cafards gros comme le doigt plutôt qu’avec une saloperie de moustique ! »
Que… quoi ?
C’est ça, ta terreur de Corée ? Un petit moustous de pacotille ? Attend, même MOI j’ai pas peur !
Mon compère me raconte alors, le regard fiévreux et les mains tremblantes, les nuits de gardes ainsi que les treks en forêt pendant le service militaire coréen, où les moustiques impitoyables les pompaient jusqu’à ce qu’ils ne ressemblent tous qu’à un énorme bouton de moustique ambulant.

Bonne âme, je compati et conclus à un traumatisme de l’armée.
Puis oublie cette malheureuse histoire, toute à mon angoisse d’affronter la version coréenne du cafard.
Aura-t’il des pouvoirs surnaturels lui aussi ?

Mais je dois l’avouer sans aucune déception, je n’en ai pas vu la couleur une seule fois en territoire de Corée, que ce soit en intérieur ou en extérieur. Ni lors de mon premier voyage en juillet, ni en octobre après avoir quitté le Japon.
Bon, comme le montre la photo ci-dessous, j’ai tout de même eu un petit comité d’accueil dès le premier jour dont je me serais bien passée, qui m’a bien fait comprendre que la taille des bestiaux locaux n’avait rien à envier à celle de ceux du pays voisin, et restais donc sur mes gardes.

insectecoreen(Enfoiré va.)

Buffet à volonté sur ma gueule

Malgré mon horrible naïveté et mon entêtement à ne pas vouloir me rendre à l’évidence (ne serait-ce que les rayons entiers à l’avant des supermarchés coréens proposant mille et une manières d’organiser un génocide de moustiques en famille), je n’ai pas mis bien longtemps à réaliser l’ampleur du problème et m’excuser platement auprès de mon compagnon d’aventures.
Oui, le moustique coréen est une véritable plaie biblique.
Quelques nuits seulement au pays du kimchi, et je ressemblais à un clafouti aux cerises.

Et pourtant, on a tenu à faire les choses bien. La première obsession en arrivant, a été d’installer une moustiquaire, colmater les trous potentiels vers l’extérieur, acheter un stock de sprays à tous les parfums et scotcher le dessous de la porte d’entrée, car les petits sournois ailés passent par en dessous de la porte.
Au début on est naïf, on croit que c’est assez pour faire reculer Edward Cullen et sa bande, et on se permet de dormir en petit short et sans couverture.
Mais quand on se réveille le lendemain avec 3L de sang en moins, en train de se frotter le dos compulsivement contre les murs pour calmer les démangeaisons, on comprend très vite qu’il faudra se montrer bien meilleur stratège pour avoir la paix.

Il faut savoir que l’enfoiré est partout, vorace et en plus, il attaque en bande. Oui, il n’a pas les cojones ne venir nous affronter seul, et invite toute la famille au banquet qui aura lieu sur ta gueule. Si j’ai une tendance à l’exagération (si peu), notez bien que la phrase suivante est cent pour cent véridique : on pouvait défoncer jusqu’à TRENTE putain de moustiques par soir et se réveiller malgré tout avec des piqûres supplémentaires le lendemain.
Pendant que vous passiez vos soirées d’été indien bien tranquilles devant une bonne série ou à la terrasse d’un bar branché, moi j’étais en combinaison de ski, œil hagard et cheveux hirsutes, tapette à la main, à fixer obsessionnellement les murs et les points lumineux, prête à attaquer pour défoncer ces petits salopards briseurs de vies.

Très vite, la chasse au moustique régit votre vie du soir au matin.
Le quotidien devient un vaste n’importe quoi. Vous ne vous étonnez plus de voir votre compagnon se mettre des grosses baffes dans la tronche sans raison et acceptez avec abnégation quand c’est à vous qu’il en met une.

slap(Selon les chercheurs de sonyan.fr, 80% des cas de violences conjugales en Corée auraient pour origine la chasse aux moustiques.) 

Vous passez votre temps à nettoyer les murs qui se transforment de plus en plus en un monument aux morts. Le Père Lachaise du moustique. Le Verdun de Microcosmos.
Lorsque vous sortez ou recevez de la visite, vous carrez la politesse bien au fond du derrière de vos amis en leur refermant la porte d’entrée sur le minois s’ils ne se dépêchent pas : l’ouvrir plus d’un quart de seconde est synonyme d’invasion. Je ne plaisante pas, il y avait régulièrement trois quatre moustiques posés sagement sur la porte d’entrée, attendant patiemment qu’elle s’ouvre pour s’engouffrer sans invitation à l’intérieur de l’appartement.

Mais pourquoi attendent-ils sur VOTRE porte d’entrée ? La psychose du moustique intelligent prend petit à petit forme dans votre esprit malade.

Vos conversations sont constamment entrecoupées car votre interlocuteur a cru voir un suceur de sang dans un rayon d’un mètre et ne vous écoute plus. Vous vous retrouvez à mettre de grandes claques un peu partout autour de vous au hasard pour faire sa fête au gêneur, vous êtes ridicules à brasser de l’air chacun de votre côté et tout ça, sans manquer de vous faire piquer quand même au passage.
L’avantage étant toutefois que cet exercice quotidien vous dispense du cours d’aérobic.
Il n’y a pas de petites économies.

Les offices de tourisme oublient souvent de vous en parler, mais grâce aux moustiques coréens, vous découvrirez les joies de l’insomnie forcée. En Corée, c’est un peu le Ramadan du sommeil tous les jours.
Malgré votre génocide quotidien avant de rejoindre Morphée, pour une raison à la limite de l’ésotérisme, il y aura toujours une poignée inexplicable de survivants qui viendront bourdonner à votre oreille une fois l’œil clos, enroulé comme un maki dans votre couette épaisse alors qu’il fait 25 degrés.
Lorsque le « BzzzZZZZzz » narquois viendra vous narguer les tympans, vous saurez alors que vous avez perdu une nouvelle fois la bataille. L’enfoiré est encore venu en surnombre, cachant son élite de guerriers bien au chaud derrière la machine à laver pendant que vous vous excitiez sur ses petits soldats insignifiants de première ligne. L’ennemi est trop fort pour vous, vous le savez. Vous ravalerez alors vos larmes, boucherez vos oreilles et espérerez être endormie avant que les démangeaisons ne commencent.
Seulement bien souvent, celles-ci vous réveillent.
La plupart du temps, les piqûres de mes impitoyables agresseurs n’étaient pas effectives bien longtemps : au bout de deux jours, le bouton était devenu minuscule et ne me grattait presque plus.
Mais c’est les premières heures qu’elles sont le plus terribles. La peau enfle en un horrible bouton blanc et la démangeaison est à la limite de la brûlure, douloureuse et insupportable.
Chaque nuit, je me réveille en train de m’enfoncer les ongles dans la jambe, provoquant le soulagement et augmentant la sensation de brûlure à la fois. Grattant de toute votre âme, vous virez psychopathe en imaginant le soulagement intense que ce serait si vous vous écorchiez vif vous-même.
Vous luttez de toute votre âme pour ne plus vous gratter et essayer de vous endormir, recroquevillé sur vous-même sous la couette étouffante et vous réveillerez le corps meurtri de courbatures le lendemain.

mosquito

Humide, la salle de bain est bien évidemment envahie.
Chaque jour, je comptais une dizaine de petits Dracula aux aguets au moment de la douche. Pensez-vous ! De la bonne chair fraîche à nue dont le propriétaire a encore la gueule dans le cul de ne rien avoir dormi la veille, la belle aubaine !
Vous inonderez donc chaque jour votre salle de bain, passant bien plus de temps à bombarder chaque recoin de la pièce au rythme des déplacements de l’agresseur avec votre bazooka d’eau bouillante improvisé, qu’à vous décrasser.
Sans parler de toute la délicatesse avec laquelle vous devrez vous laver pour ne pas réveiller les démangeaisons : se savonner devient la traversée d’un terrain miné.

Si le moustique n’inspire pas la même terreur qu’un bon gros cafard bien noir des familles, force est de constater que la fourberie de cette petite merde est sans égal. Il vous pourrit la vie petit à petit, sur tous les terrains, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit.
Très vite, je comprends le côté obsessionnel de mon compère qui prenait bien soin de défoncer le moindre petit moustique au Japon.
(Notez que le moustique japinois est aussi un vorace, mais beaucoup moins agressif en intérieur que le coréen).
Très vite, je ne supporte plus ces petits parasites qui me foutent les nerfs à vif autant que la peau. Je ne fais plus aucune nuit complète, je m’épuise à faire du kung-fu dans le vent du soir au matin contre un ennemi quasiment invisible. J’en pleurerais de voir mon quotidien pourri par d’aussi petites choses.
Comme dirait l’autre, « C’est pas la petite bête qui va manger la grosse ».
EH BIEN SI FIGUREZ VOUS.

Crucifix, ail et pieux dans le cœur

Comme pour les cafards, il va de soi que je ne vais pas vous laisser dans le désarroi le plus total, après vous avoir coupé toute envie de prendre un billet d’avion pour le pays du matin presque calme s’il n’était pas troublé par la mafia Mosquito.
Après quelques semaines d’enfer, j’ai bien entendu décidé que je n’allais pas me laisser réduire à néant par ces petits suceurs de sang sans pitié.
Etape numéro 1 : connaître son ennemi.
Me voilà donc à appeler mon meilleur ami Google pour cerner l’adversaire et adapter ma stratégie de défense.
Je me dis que j’ai été bien bête de ne pas prendre plus au sérieux les mises en garde avant de venir : un pays chaud en été, humide et aussi couvert de forêts et de montagnes que la Corée n’est qu’un vaste Eldorado pour cet enfoiré.
J’apprends au passage via cet article d’Aujourd’hui la Corée, qu’il est officiellement considéré comme l’ennemi numéro 1 de Séoul.
Je comprends très vite que toute cette mascarade avec la Corée du Nord n’est que faribole, comptine pour nous endormir et nous cacher que la seule menace imminente dans le coin, c’est les moustiques.
Pareil pour l’armée. Je décrypte très vite les récits d’anciens soldats, et réalise que toutes ces randonnées de reconnaissance de terrain et tour de garde n’ont pour autre but que de débusquer les nids. Le service militaire coréen n’a été instauré que pour préserver la population de ces parasites et lutter contre l’envahisseur avant que les gens ne s’immolent par le feu pour mettre fin aux démangeaisons.

soldier

Oui mesdames et messieurs, la guerre de Corée n’est qu’un vague prétexte monté de toute pièce pour nous cacher la vérité, si la Corée du Sud est un des pays les plus militarisé au monde, c’est pour lutter contre ces goules miniatures.
A moins que ces foutus moustiques ne soient en fait envoyés par Pyongyang. Ca se tiendrait aussi…
Raah, je ne sais plus où est la vérité.
Fiévreuse – le paludisme aurait-il finit par m’atteindre et me fait délirer ? – je continuer de cliquer de lien en lien au fil de mes découvertes fracassantes, et me rend compte par-dessus le marché qu’évidemment – sinon ce serait trop facile – certains moustiques coréens sont également porteurs de maladie et qu’il faut s’en méfier comme le conseille gentiment nos ambassades et autres vétérans présents sur les sites de voyages.
Si je me plains, je me rends compte que comparés à quelques touristes qui témoignent sur leur blog, je ne suis pas celle qui a le plus souffert des dons du sangs forcés par l’oppresseur : clique si tu l’oses.

Désemparée, je cherche toute les solutions possibles pour retrouver une vie normale, une vie où la population ne semblerait pas être sous l’emprise d’une épidémie passagère de la Tourette, se frappant elle-même sans raison à grands cri ressemblant vaguement à une traduction littérale en coréen de « CREVE ENCULE ! ».
Je ne tarde pas à investir dans toutes les merdes sur le marché : bougies et divers objets dont l’odeur est censée repousser les moustiques (peut être efficaces mais franchement pas suffisant).
J’achète aussi l’arme que doit posséder tout bon coréen qui se respecte (et qui semble être également produite en France depuis quelques temps) : la raquette électrique.

lionheart(La Lion Heart du moustous hunting)

Parfait pour le petit névrosé des insectes que vous êtes : vous n’avez ni à toucher la bête, ni à nettoyer la trace de son trépas sur vos quatre murs. La petite explosion que provoquera l’électrocution de l’enflure sur votre raquette vous ravira les oreilles, et vous n’hésiterez pas non plus à foutre un petit coup de jus gratuit à votre compagnon de galère pour vous venger des baffes prises malencontreusement les semaines d’avant.
Enfin, autre petit accessoire qui m’a changé royalement la vie, offert gracieusement par un proche coréen sensible à ma détresse et à qui je vaudrai une reconnaissance éternelle : la tente moustiquaire.

bunker(Îlot de survie)

Ok, votre chambre ressemble alors à un camping et vous ne pouvez plus sauter sur le lit en vous trémoussant sur Big Bang, mais ENFIN, vous faites des nuits complètes.
Vous avez alors une pensée émue en pensant comprendre pour la première fois les mamans dont le bébé fait sa première nuit.

Bien entendu, ne croyez pas que le moustique abandonnera la partie si rapidement, il sera toujours à l’affut quand vous entrerez ou sortirez de la tente pour s’y faufiler (j’ai dû compter quelques nuits de batailles à nouveau perdue, je l’avoue), mais en prenant bien soin de surveiller les entrées dans votre petit dôme, vous devriez être capable de retrouver un minimum de sérénité. Cette zone de 2m² sera l’Eden de votre appartement et vous y réfléchirez à deux fois avant d’en sortir.

Après, nous sommes en Corée du Sud, pays de l’innovation, de la technologie et du smartphone, il va donc de soi qu’ils ont réfléchis à tout. En effet, depuis 2004, les coréens ont inventé les sonneries de portables ayant un son qui éloigne les moustiques comme indiqué dans cet article. J’avoue ne pas avoir cherché, mais je suppose qu’en dix ans, les techniques pour se protéger de cette vermine avec son dernier Samsung Galaxy ne doivent pas manquer.
Mais notez que si la Corée du Sud essaie de faire profil bas en tentant de trouver des moyens écologiques pour lutter contre ces suppôts de Satan, elle use aussi de méthodes beaucoup moins soft et super sympa pour les poumons de tout le monde, notamment le camion tueur de moustiques, qui passe gazer les rues d’un mélange de kérosène et différents pesticides. Petit exemple en vidéo (si le nom de l’entreprise est marqué en kanji, la scène se passe bien en Corée du Sud), où l’ont peut constater que le camion a un double avantage, il ne se contente pas de gazer les insectes, mais aussi tous les mioches du voisinage par la même occasion. D’une pierre, deux coups.

 

Et voici au passage deux trois blogs sympas de victimes que j’ai trouvé lors de mes clics, comme « Korean Bloodsuckers » ou encore la petite BD de « Dear Korea« .

Enfin, comme j’ai pas mal bougé en Corée et testé plusieurs appartements, j’ai pu constater que la vie était nettement vivable en hauteur que dans les premiers étages. En effet, le moustique est vaillant mais flemmard et ne se fatigue pas à voler trop haut quand même. Aussi, j’ai été nettement plus tranquille à Ulsan où je dormais dans un appartement au dixième étage qu’ailleurs.

Notez enfin que le moustous coréen est nettement plus résistant au froid que chez nous, et que l’invasion a perduré (du moins dans le sud du pays) jusqu’à mi-décembre. La trêve a en effet commencé entre le 10 et 15 décembre dans le sud du pays, sûrement un peu plus tôt du côté de Séoul.
Mais jusqu’à quand… ?

Quand je pense à l’horreur des périodes estivales au Japon et en Corée du Sud, l’effroi s’empare de moi et je suis prise de sueurs froides. Quelles horreurs vais-je vous raconter le jour où je serai en mesure de vous écrire « L’Australie de vos rêves »…
Arg.

Perles, Acte II : Japonais, Coréens, même combat

Je vous avais promis un petit pavé spin-off de mes aventures au Japon version Corée du Sud, mais le temps manque à la pavification en cette fin d’année riche en aventures et en déplacements divers.
Je vous propose donc en attendant, un autre petit post en suite à celui-là, article léger pour digérer la bûche et le foie gras : les perles !

Et au cours des derniers mois, s’il y a bien quelque chose que j’ai compris, c’est que les Japonais n’ont pas le monopole de la connerie. Attention les mirettes neuronnes.

Spécial voyageurs :

Team Japon

« Non je n’ai jamais voyagé en dehors du Japon, ni pris l’avion. Même pour un vol national, pour aller à Osaka j’ai dû prendre le train car j’ai même pas de passeport ».
Moi aussi un coup, j’ai voulu faire Paris – Marseille mais j’ai renoncé. J’ai oublié de faire un visa et mes vaccins n’étaient pas à jour.

Team Corée

« Mais le Brésil, c’est en Afrique ? »
Oui, juste en dessous de la Norvège.

Spécial gastronomes :

Team Japon

Je fais mes courses pour mon repas du soir et demande au mec du supermarché s’ils vendent du mascarpone.
Regard embêté : « C’est pour quoi ?
– Faire un dessert. »
Son visage s’illumine et il m’emmène d’un pas vif… au rayon des spatules.
« Voilà ! »
…Merci Bro.

Team Corée

Premier foie gras.
« Alors c’est bon ?
– Oui c’est pas mal. Ca ressemble au thon en boîte en fait ! »
Astuce : Pour des fêtes de fin d’année économes, remplacez Labeyrie par Saupiquet.

Premier champagne.
« Ah, mais c’est amer le champagne ! Je vais mettre du sirop dedans pour adoucir.
– Mais on a pas de sirop ?
– Oui, ben on a du Nesquik ! »
Touche à ce Nesquik et je t’empale sur un couteau à beurre, hérétique !

Spécial linguistes :

Team Japon (en français)

« Alors quel temps fait-il aujourd’hui ?
– Il fait beau, il y a du sommeil. »
Ah, bah c’est dimanche matin hein.

On travaille le vocabulaire de la maison, je décris une habitation à mon élève qui doit la reproduire sur papier.
« Il y a deux salles de bains. Une en bas à côté des toilettes et une à l’étage, à côté de la chambre à coucher des parents.
– Deux ?
– Oui, deux. Généralement il n’y en a qu’une mais dans les grandes maisons il arrive que les Français aient deux salles de bain.
– Mais… vous voulez dire que tous les Français en ont au moins une ?!
– Ben, oui quand même… Je sais qu’on a la réputation d’être sales mais…
– Ah non mais c’est fantastique ! Jusqu’à deux par maisons, et à côté des chambres ! Ca, c’est vraiment la France ! Rah, je veux déménager en France ! »
Et là, je le vois écrire des étoiles dans les yeux « salle de vins » sur son cahier…

Team Corée (en anglais)

« C’était quoi le mot anglais déjà pour dire carrefour ?
– Crossroad
– Comme dans The Road of the Ring ? »
La route de l’anneau, oui ça aurait pu s’appeler aussi comme ça…

Spécial musulmans en herbe :

Team Japon

(Tweeté par ‏@_Alicedelice_ )
« Hallal, c’est pour les crevette aussi ? »
Oui, comme les haricots verts.

Team Corée

« Mais le Ramadan tout le monde triche non ? Comment tu peux vivre sans boire ni manger pendant un mois ? »
C’est un mois de sélection naturelle annuelle en fait, seuls les surhommes survivent.

Inclassables :

Team Japon

Je regarde mon boss à côté de moi, compter frénétiquement sur une calculatrice en regardant son écran, soupirer, recommencer et s’énerver depuis quinze bonne minutes.
« Qu’est-ce qui se passe ? Il y a un problème ?
– Il y a une limitation de caractères pour la publication de ce texte, alors je compte.
– Vous comptez quoi ?
– Ben les caractères !
– A la calculatrice ?!
– Ben oui ! Je compte le nombre caractères, que je multiplie par le nombre de lignes, et les lignes pas complètes je les ajoute en addition et…
– Ou sinon, vous pouvez aussi surligner et regarder le nombre de caractères en cliquant sur l’icône ABC de word.
– Ah… »
Ah bah oui.

Team Corée

« Ah, tu es fan de Disney ?! Moi j’adore la trilogie des Tolstoï ! »
Idem, j’ai adoré Buzz l’éclair dans Guerre et Paix.

Je sais ce que vous vous dites : du grand art.
Mais comme avant de se moquer du monde entier, c’est bien aussi de balayer de temps en temps devant sa porte, quelques perles françaises.
Avec leur adorable permission (j’ai quand même demandé avant de briser leur image à jamais), moquons-nous allègrement de mon propre sang :

Je visite Kyôto avec ma douce maman et l’emmène au Kinkaku-ji, le temple du Pavillon d’or, un bâtiment entièrement recouvert d’or, trésor national inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO et j’en passe et des meilleures…
« Hé ben il est pas mal ce petit temple ! Il est peint en jaune, ça change. »
Et sinon, tu connais le dessin animé  « Les merveilleuses cités peintes en jaune ? »

Ma sœur : « On est où là déjà ?
– A Yokohama.
– Yoko Hama, c’était pas le nom de la femme de John Lennon ça ?
Non, elle c’était Ono Lulu.

Visite d’un temple bouddhiste, après avoir fait déjà fait une bonne tripotée de temples et sanctuaires en tout genre entre Tokyo, Kamakura et Enoshima.
Ma sœur : « Et sinon, les Japonais ils ont des lieux de culte ou de prière comme en France les Eglises et les mosquées ? »
Laissez-moi deviner… j’ai été adoptée, c’est ça ?

Allez, je vous laisse méditer sur ces perles en attendant un prochain pavé, et je vous souhaite à tous une excellente fin d’année !

Si toi aussi tu rêves de peindre ta maison en jaune, ne manque pas les réductions de fin d'année chez Leroy Merlin !

Si toi aussi tu rêves de peindre ta maison en jaune, ne manque pas les réductions de fin d’année chez Leroy Merlin !

Bilan

      14 commentaires sur Bilan

« Raah, mais quelle morue cette Sonyan ! Elle nous écrit un article qui fait le buzz, on se mobilise pour la soutenir, elle nous écrit un autre article de foufou nous promettant voyages et le monde à ses pieds alors on l’inonde de commentaires et d’encouragements, impatients et tout… et pif paf pouf, elle disparaît ! »

Hé oui.

Ca y est, j’ai dépassé les 500 fans sur Facebook, je suis un peu la Rihanna des blogs roses qui font mal aux yeux, donc je commence les caprices de stars. A quand les photos de moi à poil et la sex tape avec Jean-Edouard dans une piscine ?
(N’attendez pas trop là-dessus quand même a priori…)

Oui, déjà un mois et demi que j’ai quitté le Japon et que je ne vous ai rien écrit, même si je vous ai un peu pollué votre mur ces derniers jours avec la parution abrégée de mon article sur les TCA dans le Huffington Post. Mais c’est vrai qu’à part ça, je ne vous ai pas donné grand-chose à lire pendant vos heures de travail/cours en amphi, bande de petits voyous.
Donc avant que certains d’entre vous ne tombent dans une dépression profonde par manque de pavés et ne sombrent dans des extrêmes comme lire le blog de Jean-Marc Morandini à la place du mien pour tuer le temps, je me dévoue à m’y remettre.

J’ai déjà quelques idées qui bourgeonnent dans mon petit esprit malade, le tout peut être accompagnés de quelques dessins si mes mains acceptent d’obéir à mes idées et ont le bon vouloir de dessiner quelque chose de convenable.
Mais en attendant, un post de transition pour faire le bilan. Un bilan sur le Japon et mon départ.

Tout d’abord, je dois avouer que je ne réalise toujours pas que je suis partie. Le fait d’avoir gardé mon quotidien métro-boulot-dodo jusqu’à la fin a fait que ce départ n’a absolument pas eu le temps d’être enregistré par mon petit cerveau. Mais aussi, être partie pour un pays que je ne connais absolument pas où chaque jour est une découverte (malgré quelques similitudes avec le Japon, karaoke, combini, sac Chanel et Louis Vuitton…) fait que je ne suis pas toujours en train de penser à ma vie d’avant.

Quelques réflexions m’ont été faites plusieurs fois ces deux derniers mois, et je n’y ai pas toujours répondu vu le nombre impressionnants de commentaires (continuez comme ça :D), donc je vais m’exprimer ici.

La première étant, pourquoi être retournée au Japon/y être restée si longtemps avec toutes tes galères et tes TCA ?

Tout simplement parce que le Japon a une multitude d’aspects formidables. Je ne les aborde pas forcément ici parce que des milliers de blogs le font extrêmement mieux que moi, illustrés de superbes photos prises avec autre chose qu’un vieil iPhone cassé (je vais peut être organiser un SonyanThon pour que vous me financiez un reflex tiens). Et comme je n’ai pas envie de parler de ce dont tout le monde parle déjà, comme j’ai envie de montrer d’autres facettes méconnues, comme j’ai envie de vous parler des baffes que je me suis prises pour ne pas que vous vous preniez les mêmes, eh bien ce sont ces sujets là que j’aborde.
Mais le Japon reste un pays avec une langue que j’adore et qui me fascine, un patrimoine historique et culturel aussi riche que passionnant, des paysages qui m’ont mis les larmes aux yeux plus d’une fois (je ne parle pas des poubelles de Shinjuku à 6h le matin, on est bien d’accord) et un certain confort de vie assez remarquable.
Oui c’est appréciable d’aller faire ses courses n’importe quand, de ne pas avoir peur de se faire tirer son téléphone ou son portefeuille dans la rue, de recevoir une qualité de service généralement défiant toute concurrence. Même si au fil des années j’ai appris à déceler d’autres travers de la société nippones que cachaient ces merveilleux avantages, le fait est que quand on ne manque pas d’argent, il y a réellement moyen de vivre une vie de roi dans ce pays.
Pourquoi être revenue après mon séjour à Osaka malgré les mésaventures liées à mon obésité ?
Tout simplement parce que malgré cela, c’est une des meilleures années de ma vie. J’ai vécu quelques humiliations liées à mon poids qui m’ont certes blessée et complexée encore un peu plus, mais ma vie là-bas ne s’est évidemment pas résumé à ça. Ce ne sont que quelques épisodes éparpillés sur une année pleine d’expériences incroyables.
Ca ne m’a pas empêchée de vivre des choses uniques : la vie universitaire japonaise et ses événements comme la fête du sport ou de la culture, chanter dans un club à la fac et faire des concerts, faire le tour du Japon en sac à dos pendant les vacances d’Hiroshima à Sapporo, en découvrant au passage des paysages japonais improbables et souvent méconnus comme les dunes de Tottori.

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Sans parler de tous les endroits improbables pour sortir s’amuser qu’on ne verra jamais en Europe.
Merde, qu’est-ce que j’aurais été conne de dire non à tout ça pour un tour de taille. Je ne vais pas renoncer à mes rêves parce qu’une dizaine de connards se sont foutus de ma gueule sur le forum d’un bar quand même.
Après je me suis un peu brûlée les ailes dans mon entêtement car je suis malheureusement quelqu’un de très sensible, mais même pendant cette descente aux enfers, je continuais de vivre et de m’amuser. Les feux d’artifices, les matsuris en yukata, les spectacles, les comédies musicales, les lectures couchée dans l’herbe du parc Yoyogi, écrire un article de blog dans un café au 15ème étage d’une tour en regardant la vue, me prendre pour Lady Gaga au karaoke en sortant du boulot pour me détendre, me moquer des hosts en leur disant que je viendrai passer la soirée avec eux au club uniquement s’ils m’y invitent dans un français impeccable et les regarder galérer…
Et si je suis partie au final, ce n’est toujours pas à cause des réflexions qu’on m’a faites ou des baffes que je me suis prise. C’est juste un choix de vie car j’ai envie d’aller voir ailleurs, et parce que je pense que certains aspects de la société japonaise adulte ne sont pas adaptés à mes idéaux et à la vie de femme adulte que j’ai envie de mener. Parce que j’ai envie d’élargir ma vision des choses et du monde aussi. Et je ne regrette pas mon choix, si le Japon en lui-même me manque déjà, le quotidien pour l’instant pas tellement. Je me fais une joie d’y retourner plus tard régulièrement pour revoir mes proches et profiter des endroits que j’affectionne, mais je ne ressens aucun regret sur le fait d’avoir quitté ma vie.

J’ai vu aussi des personnes dire sur Twitter/en privé/en commentaires, que je les avais un peu dégouté du Japon, ou bien qu’ils avaient peur d’y aller et envie de renoncer, d’autant plus maintenant que j’avais décidé de partir,que ça leur enlevait un peu de la confiance qu’ils avaient en eux pour partir.
Je vais reprendre grosso modo une des réponses que j’ai faite dans un commentaire parce que je suis une flemmarde, mais si je comprends ce sentiment de perte de confiance, j’aimerais vous dire qu’il ne faut pas rester dessus, il faut dépasser cette impression.
Mon expérience au Japon est unique.
Ca ne veut pas dire qu’il n’y a que moi qui vivrai ca (à part peut-être graveuse d’inkan…), car je crois malgré tout que pas mal de gens se retrouvent des expériences similaires à travers mes écrits, mais ça veut dire que selon le milieu dans lequel j’ai évolué, des gens qui m’entouraient, des défis que je me suis imposés, il m’est arrivé ça, ça et ça.
Selon le milieu, certains ne vivent absolument rien de ce que j’ai pu raconter ici (et raconterai par la suite, hé hé) et vivent le Japon formidable que nous décrivent les offices de tourismes. Enfin, certains vont avoir le même genre d’expériences, mais selon leur sensibilité et façon de penser, s’en foutre complètement et passer outre.
Une majorité de japonisants croient avoir la vérité absolue sur le Japon qui est comme ci ou comme ça. En vérité, il y a mille et un Japon selon qui vous êtes et ce que vous y faites, la vision que je vous en donne, même si le vécu est 100% véridique, n’est qu’une de ces innombrables facettes. Il n’y a pas de vérité unique.
C’est pourquoi il ne faut pas trop appuyer ses choix de vie sur l’expérience des autres, car le fait est qu’on a tous un parcours différent.
J’ai entendu un million de fois (rien que ça) des gens me dire que je ne trouverais pas de travail au Japon, que les entreprises ne donnaient pas de visa, qu’avec un diplôme littéraire j’irais pas bien loin, que la belle époque où on embauchait facilement les étrangers était finie etc. Je n’ai pas écouté et j’y suis allée. J’en ai chié, mais j’ai réussi. Et je ne suis évidemment pas la seule, j’en connais même une poignée qui y arrivent sans même parler la langue. Tout est question d’énergie, d’efforts, de réseau et parfois un peu de chance, mais c’est possible.
J’entends pas mal de gens dire qu’en Australie c’est des têtes de cons, des racistes, que y’a beaucoup de Français (et souvent mal vus), trop de concurrence et pas de travail et je passe.… Mais je compte y aller quand même.
Pourquoi ? Pour me faire mon propre avis, tracer mon propre chemin.
Mais je me considère comme prévenue, j’y vais sans illusion, sans rêve illusoire, sans me dire que je vais mener la vie des grands ducs et que tout me tombera tout cuit dans la main.
Alors si tu fais partie des gens qui lisent mon blog (ou autres textes décrivant des expériences négatives au Japon), et si c’est vraiment ton rêve d’y aller, il ne faut pas s’en dégouter, car ce n’est pas mon but.
Mais il faut se sentir prévenu. Le Japon fait mal à ceux qui l’idéalisent, qui ne sont pas conscients de certains problèmes de société pourtant bien réels qu’ils se prennent en pleine gueule quand ils restent au long terme.
Quand j’aborde certains aspect révoltants ou négatifs du Japon, considérez-le comme de la prévention, comme ça quand vous y serez, vous constaterez sur place (ou non, selon chance) ce que moi et d’autres ont dit, et pourrez vous dire « oui bon, je le savais ».
Que ça vous aide à ne pas prendre les choses trop à coeur ou trop personnellement, que ça vous donne des armes pour ne pas être déçu et profiter pleinement de tous ses bons côtés.

Enfin, il ne faut pas prendre mon départ du Japon comme un dégoût ou un abandon à cause de trop de négatif. Ca aurait été le cas si j’étais partie en 2011 ou en 2012, où je cumulais les emmerdes et en avais ras la casquette, mais pas aujourd’hui. J’ai remonté la pente, et si je suis partie, c’est seulement parce que mon envie de voyages, de liberté et d’ouverture étaient les plus fortes. Mon amour du voyage et l’admiration de la vie nomade m’habite depuis aussi longtemps que mon amour pour le Japon. J’ai consacré 10 ans à ce dernier, je pense avoir vécu ce que j’avais à vivre et ai envie maintenant de tester d’autres choses. Si je n’avais pas cette envie de bougeotte et cette sensation que beaucoup d’aventures m’attendent ailleurs, alors je serais restée.
Car quoiqu’il en soit, le Japon c’est une part de moi maintenant.
Et ce n’est pas sans avoir pesé le pour et le contre pendant un an, tout en me demandant si j’étais capable d’abandonner tout cela. C’est un choix de vie complètement personnel, selon des désirs qui n’engagent que moi, mais qui ne veulent en aucun cas dire « Bon le Japon c’était nul et décevant, je me casse ».
Donc si vous aimez ce pays et rêvez de vous y installer, je ne peux que vous encourager à y aller.
Et ça ne concerne pas que le Japon, ou même un pays en fait. Quel que soit votre rêve dans la vie, c’est bien de se renseigner, s’organiser et se préparer à en chier pour ne pas se casser le nez sur la première vitre, mais faut pas que ça vous fasse renoncer non plus. Sinon personne ne ferait jamais rien.

Une des dernières questions qu’on m’a souvent posé ces derniers temps, c’est si je regrettais d’être partie au Japon.
Alors avec le speech coach de vie de comptoir que je viens de vous faire, je suppose que vous avez compris pourquoi ma réponse est MILLE FOIS NON, mais je vais quand même étoffer ma réponse, parce que j’aime bien en tartiner des caisses quand je pourrais faire court.
Si on aborde la chose d’un point de vue négatif, au Japon j’ai vécu des d’histoire d’amour plus que médiocres, j’ai développé des TCA, j’ai fais pas mal de jobs pas très épanouissants, j’ai fais un prêt pour une école hors de prix pour finalement trouver des postes pas très bien payés comparé à la moyenne tokyoïte.
Ok, ça c’est la liste déprimante que je me fais les jours de doutes et de Häagen-Dazs en pleurant devant Bridget Jones.
Mais pas que.
Ca va sonner très gnan-gnan consensuel mais c’est on ne peut plus vrai, le Japon m’a appris énormément sur moi, sur qui je suis et sur ce que je pense. Rien de tel que de vous exiler loin de votre petit nid douillet confortable pour découvrir ce que vous avez dans le bide. J’ai appris mes forces et mes faiblesses. Des aspects de moi plutôt badass que je soupçonnais pas, des faiblesses honteuses que je me dois absolument de corriger et dont je n’étais pas consciente.
Il m’a forgé l’esprit.
Et puis aussi il y a un aspect que j’aime au Japon, c’est que quelque part, si on s’en donne les moyens, j’ai l’impression que peut se lancer dans presque n’importe quoi.
Alors c’est vrai, je tape sur l’enseignement japonais et le fait que les étudiants en sortent souvent ignares, je tape sur les entreprises patriarcales et ces employés incapables de se détacher de leur manuel et d’anticiper un peu leur travail, mais il y a un truc que j’aime bien : à partir du moment où il existe cette culture de l’entreprise qui forme l’employé, avec un peu d’effort et de culot, vous pouvez travailler dans n’importe quoi, quelle que soit votre formation.
En France, si tu veux être vendeuse, il faut un diplôme de vendeuse. Si tu veux être caissière à Intermarché, il faut une licence d’hôtesse de caisse à Intermarché, si tu veux faire dame pipi, il faut un master Canard WC.
Même les jobs alimentaires les plus dérisoires, c’est une finale de Koh Lanta pour se faire embaucher, à coup de diplômes et noms de formation pompeux qui vous confinent dans un seul et unique domaine.
Oui, les réorientations professionnelles existent et s’imposer dans un secteur où on a aucune formation est possible, mais c’est le parcours du combattant.

Au Japon, quand on est encore dans la tranche des 20-30 ans (peut être même après), ca reste quand même beaucoup plus souple selon les entreprises.

Je suis arrivée au Japon avec mon master et quelques diplômes annexes, mais une formation, allez, on va dire à 90% littéraire. Je sais, ça ne mène pas très loin en 2013 d’étudier la littérature japonaise d’après-guerre et les poèmes en langue ancienne, mais je n’ai pas trop pensé en terme de carrière, mais en terme de « hé, j’ai envie de faire ça». Mais même si écrire un mémoire sur la condition des prostituées japonaises après la seconde guerre mondiale ne m’a jamais servi dans ma vie professionnelle, eh bien j’ai quand même réussi à faire ma place là où j’avais envie.
J’ai eu envie de travailler dans l’événementiel, allez hop, bon gré mal gré, j’y arrive.
J’ai envie de travailler comme traductrice japonais-français, quelques petits tests de traduction réussis, et hop j’y arrive.
J’ai envie de travailler dans une boîte qui développe des sites web et des applications smartphone (bon, et des inkans, arrêtez de troller), je montre deux trois designs et sites tout nazes que j’ai fais pour le plaisir, et hop, j’y arrive.

A part peut être la traduction car même sans avoir fait d’école spécialisée, j’ai beaucoup travaillé les langues, autant dire que je partais de zéro dans chaque domaine.
Dans ma dernière entreprise pour laquelle je travaille maintenant en freelance, j’avais un niveau horriblement amateur en tout. Mais petit à petit, j’ai appris à coder plus proprement, j’ai appris à maîtriser entre autre Photoshop et Illustrator. J’ai peut-être toujours pas le niveau de quelqu’un qui a fait une vraie formation professionnelle, mais je peux au moins me vanter de m’être fait ma place, d’apprendre avec des professionnels et améliorer mes compétences.
En France, je doute sincèrement qu’on m’aurait donné une chance comme graphiste ou autre sans formation, sans expérience, mais EN PLUS avec un niveau très amateur.

J’ai vu des gens au Japon se lancer dans tout et n’importe quoi : cuisinier, pâtissier, modèle, acteur, développeur, illustrateur, éditeur, graphiste, même tatoueur, à étudier en admirant le travail sur des fesses de Yakuza (dédicace à Mu ).
Alors se lancer dans un domaine en partant de zéro et même en dessous, ça veut aussi dire se donner à 100%, faire des sacrifices, accepter de mettre sa fierté dans sa poche et être un peu le larbin de son « maître » pendant qu’on apprend… bref, à la dure selon le domaine, mais on peut apprendre et se faire une place dans de nouveaux secteurs, oui.

Donc non, je n’ai jamais regretté malgré les baffes d’être venue au Japon. J’ai vécu de nombreuses choses inoubliables, développé une façon de penser et des compétences que je n’aurais sûrement pas acquises en restant dans mon adorable Besançon natal.

Et pour ne jamais oublier ces années de Japon uniques, fortes en émotions et en expériences variées, avant de partir, je me suis fait tatouer par mon amie apprentie tatoueuse cinq fleurs de cerisiers.
Une pour chaque année.

tattoosakura

Petite pub au passage, si vous voulez suivre l’évolution d’une apprentie tatoueuse au Japon, voici la page où vous pourrez la suivre, et vous renseigner sur le monde du tatouage/se faire tatouer au Japon.
Je pense écrire un jour dessus, mais vu mon rythme capricieux, autant vous laisser prendre les devants…

Si j’avais toutefois quelques petits regrets à exprimer, ils seraient les suivants :
– Ne pas avoir grimpé le Fuji. Chaque été, travail, mauvais temps ou typhon, un contre-temps à la con.
– Ne pas être allée à Okinawa, à Nagasaki et fait le pèlerinage des 88 temples de Shikoku.
– Ne pas être allée à la fête du pénis, je suis sûre que j’aurais eu un magnifique article à écrire.
– Ne pas avoir vu la comédie musicale de la Petite Sirène (tout complet sur des mois avant mon départ). Oui je sais, ça n’a rien à voir avec le Japon, mais elle n’est plus jouée dans beaucoup de pays et ne pas l’avoir vu représente un drame de ma vie.
– Ne pas avoir vu une des comédies musicale de Takarazuka (ville près d’Osaka), ces comédies musicales où tous les rôles, même masculins, sont jouées par des femmes. C’est aussi kitch que fantastique, je suis très très fan.

Et je crois que c’est tout… ? Car malgré tout, j’ai quand même vu un sacré paquet de villes et fait un sacré paquet de choses.
Pas grave, j’accomplirai ces derniers petits souhaits nippons les prochaines fois que je serai de passage.
Déjà, il faut que je continue mon périple « Sonyan in Wonderfood », qui consiste à faire tous les restaurants à thème Alice aux pays des merveilles…

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Voilà pour ce petit bilan que je tenais à écrire, pour moi et pour ceux dont les questions sont restés sans réponses.

Deux mois après, j’apprécie la vie en Corée même si je pige pas un mot et que chaque échange réussi avec l’Autochtone est une petite victoire de Canard. Tout ne se passe pas exactement comme j’avais prévu d’un point de vue privé, d’où un petit repli pour faire le point, mais la Corée du Sud en elle-même demeure fascinante et intéressante.
Jusqu’à maintenant, je suis restée principalement dans les « petites » villes, expérimentant la Corée à l’ancienne où on se lève à 4h du matin pour aller au port acheter son poisson frais au retour des bateaux ; je vais maintenant m’exiler à Busan et Séoul d’ici quelques jours pour découvrir la Corée des dramas, aux néons qui clignotent et aux visages refaits.

Sinon, pour le travail en freelance… Eh bien, ça c’est le pied. Pouvoir faire un travail qu’on apprécie sans devoir se taper les joies de l’open space, en mettant de la musique etc., c’est quand même un luxe.
Après, le fait de travailler à la maison rend ces journées de travail très sédentaires, je bouge nettement moins qu’à Tokyo où j’étais hyperactive et ça me chiffonne un peu.
Donc, se forcer à bouger me parait important, je me demande si je ne vais pas me déplacer pour travailler dans des cafés ou des bibliothèques de temps en temps. En attendant, j’essaie de partir me promener une heure le midi, ou après le travail histoire de prendre l’air.

Voilà donc pour ce post de transition et où j’en suis après ces deux petits mois de blanc.

Je reviens la prochaine fois avec un petit spin off d’un de mes posts sur le Japon mais version Corée du Sud… Devinerez-vous lequel ?!

Besoin de temps

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Je vous ai annoncé tout plein de nouveaux posts, sur le Japon, sur la Corée etc… Mais je ne suis pas en « état » d’écrire pour l’instant. L’alignement des planètes, la pleine lune, tout ça tout ça…

J’ai besoin d’un peu de temps. Même les « Happy end » peuvent parfois prendre des virages inattendus.

Je vais donc tirer ma révérence aux réseaux sociaux/Internet pour une période indéterminée.

Juste quand mon lectorat augmente et me témoigne tant de soutien, c’est un peu un pied de nez, pardon.

Mais a priori je reviendrai.
Je reviens toujours, et j’ai toujours des choses à raconter.

Allez, à trois, je disparais.
Un, deux, trois… SPARAIS !

Et sur ce calambour fort nul (mais un de mes préférés depuis quinze ans), je sais que vous ne me regretterez pas trop. Le temps que vous arriviez à me pardonner une blague aussi naze quoi.

Portez-vous bien.

Histoire d’un coup de poker

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« Roooh, mais qu’est-ce qu’elle poste Sonyan en ce moment, elle nous emmerde avec ses pavés, on a du ménage en retard et on avance pas dans notre travail, dis ! Pour peu qu’on se fasse chopper par le boss, avec son design girly, on est pas dans la merde !».

Certes.
Je vous rassure, je ne garderai pas ce rythme de trois blogs par semaine, faut quand même pas déconner. Surtout que j’ai cru comprendre que pas mal d’entre vous me lisaient du travail (han, les glandus !) et je serais fort triste de nuire à la productivité de mes compatriotes et autres francophones.

Si j’ai le feu aux doigts et que je blogue autant en si peu de temps, c’est que j’ai plein de choses à vous dire de la plus haute importance.
Le problème étant que 1) je ne vais pas me relire faute de temps donc il y aura des grosses horreurs 2) je vais passer directement à 2012 alors que je ne vous ai pas raconté 2011. Vous m’entendez souvent parler de mon expérience épique en événementiel sans savoir quoi, mais cette année folle a tellement de rebondissements que je lui consacre un traitement un peu plus spécial que les autres. Mais ne vous inquiétez pas, ça sera raconté comme le reste.
Bref, en plus de vous décoller les rétines à coup de blogs infinis, je vous embrouille en faisant de mes racontages de vie un vrai puzzle.
Oui, ma cruauté est sans limite.
Appelez-moi Ramsay Bolton.

Nous sommes début 2012, espérée l’année du flouze, mais devenue un peu l’année de la loose.
(Je vous interdis toute autre suggestion de rime en ouze, des mineurs me lisent peut-être).

Après avoir démissionné de mon job de psychopathes et fait une petite pause psychologique en m’accordant trois mois en tant que professeur d’anglais à des petits de trois ans (oui, Sonyan chantant l’alphabet au milieu d’une vingtaine de chouinards nippons qu’ont chié dans leurs couches, vous aurez un post là-dessus aussi…), il est temps que je retrouve un autre travail.
Parce que même si j’étais moins pédophobe que je ne pensais (pire, je crois que j’aime les enfants… mais chut, c’est un secret. Je tiens à ma couverture de vieille aigrie), c’était ni ma vocation, ni la ruée vers l’or et en plus c’était à 1h30 de trajet de chez moi.

En toute honnêteté, j’étais un peu perdue à ce moment-là. Mon ancienne boîte m’ayant franchement rendue misanthrope, ayant mis un énorme coup de pied dans l’estime de moi-même point de vue capacité professionnelle… J’avais l’impression de ne savoir strictement rien faire.
C’est vrai, la seule chose que je sais bien faire, c’est parler japonais. Le reste… touche à tout, bonne à rien. J’ai des bases de plein de choses, mais rien que je ne maîtrise.
J’avais envie de faire de la traduction mais le monde du freelance est instable et je n’avais pas de quoi vivre avec les quelques demandes de traductions que je recevais.
Aaaah, oui parce que je ne vous ai pas dit !!!!
Suite à mon article Carrière Ephémère, une personne qui me suivait depuis quelques temps sur Twitter, savait que je galérais à mon travail d’événementiel… et m’a proposé de lui envoyer mon cv  pour son école de français/traduction.
La vie est drôle, j’écris un article où je bitche sur mes anciens élèves (mais avouez qu’ils étaient copieux), et on me propose un job de prof alors que je terminais le billet en disant que j’étais vaccinée.
Mais l’école est sérieuse, forme des traducteurs et des interprètes ce qui promet des élèves avec un haut niveau et motivés, et surtout l’entreprise se divise entre cette école et un service de traduction.
J’envoie donc mon cv et suis embauchée. D’abord en tant que professeur, mais après avoir passé un test, aussi en tant que traductrice freelance.
N’étant pas à plein temps, je n’avais pas assez pour vivre pour me contenter de ces deux seuls jobs,  mais ai travaillé pour cette entreprise le week-end en tant que professeur et traductrice freelance d’octobre 2011 jusqu’à maintenant.
Mais « malheureusement », je n’ai rien de spécial à raconter sur le sujet puisque tout s’est toujours parfaitement bien passé, j’ai eu des élèves super, et la personne qui me suivait et m’a demandé mon cv est entre temps devenue mon ange gardien et un de mes meilleurs amis. Parfois je me dis que je n’aurais pas toujours tenu le coup si je ne l’avais pas rencontré.
Voyez, il ne m’arrive pas toujours que des merdes, j’ai aussi de belles rencontres et bonnes expériences, rassurez-vous.
Mais avouez que si ça fait plaisir, c’est nettement moins drôle à lire (je vous  vois bien vous ennuyer depuis dix lignes, ne niez pas), donc concentrons-nous sur les emmerdes !
Et la morale de cette histoire, c’est quand même bien qu’en écrivant des vacheries sur ce blog, j’avance dans la vie.
Donc continuons dans la joie et l’allégresse.

Bref, je travaille donc le week-end, fais quelques traductions à la maison quand ça tombe, mais ça reste irrégulier et ne nourrit pas son homme, même anorexique.
(J’ai bien fait d’écrire ce blog sur les TCA, j’ai même étoffé l’éventail de mes vannes).

Au cours de mes recherches, je trouve une entreprise à seulement deux stations de chez moi qui fait des sites web et cherche un nouveau développeur.
Je fais des sites à la zob depuis l’adolescence, mais avec un niveau franchement amateur. J’ai appris les rudiments sur le tas en cherchant des tutoriels sur google selon ce que je voulais faire, mais n’ai jamais vraiment appris proprement. J’étais ce genre d’hérétique qui mettent leur css au milieu du html sans honte, voyez (je vous rassure, j’ai changé).
Mais je ne sais plus trop ce que je veux faire dans la vie et j’ai besoin d’un job, alors je postule au culot.

Très vite, je suis appelée pour un entretien qui se passe plutôt bien. Le patron est très jeune (32 ans) et celui qui l’accompagne a la tchatche.
Moi qui étais pourtant stressée, je ne sais pas pourquoi…  une fois pendant l’entretien je me suis détendue et ça c’est très bien passé. J’ai avoué franchement que je n’avais pas un niveau professionnel -ça ne sert à rien de vendre des capacités qu’on a pas-, mais leur ai donné l’adresse de sites que j’avais fait et qui étaient toujours en ligne.
Je souligne que je bidouille un peu sur photoshop, toujours un niveau amateur mais que j’ai les bases.
Il y aurait du avoir un deuxième et troisième entretien, mais je ne sais pas pourquoi, coup de cœur pour moi ou cas sociaux pour rivaux, le patron me recontacte très vitre pour me dire qu’il a décidé d’annuler la suite des sélections et me prendre.
Tout se passe très vite et de façon très carrée, ce que j’apprécie franchement après toutes les entreprises boiteuses pour lesquelles j’ai postulé dans le passé.

Je commence le travail, on me donne des choses simples comme la création de pages web pour téléphone portables. Je n’en ai jamais fait, mais c’est nettement plus simple que des versions bureau, tout se passe bien. On me demande aussi de faire quelques bannières, rien d’insurmontable même à mon niveau.
Je suis en période d’essai pour six mois avec une paye très basse mais ça me change pas tellement d’avant, et surtout cette fois j’ai un confort de vie : l’entreprise est à deux pas de chez moi et interdit les heures supplémentaires.
Mon boss est un des rares Japonais sur terre à vouloir privilégier sa vie de famille. Alors on vient à 9h30 et on repart à 17h30, point barre.  En contrepartie, des comportements qu’on voit très souvent dans les entreprises japonaises comme un salarié qui se tape une sieste sur le bureau sont proscrits.
Il nous demande que 8h par jour et pas plus, alors pendant ces 8h, on bosse.
Comme je venais de passer un an à rentrer à minuit, autant vous dire que même pour une paye n’avoisinant même pas les 150 000 yens par mois, ça m’allait. D’autant que ces salarymen qui glandent toute la journée pour se mettre à bosser de 17h à 22h m’ont toujours exaspérée (vous croyiez vraiment que les Japonais travaillent non-stop du matin jusqu’au soir ?).
Je n’ai toujours pas de confort matériel, mais j’ai au moins un confort de vie.

L’entreprise est nouvelle et très petite, il y a peu de monde mais chaque employé se montre plutôt gentil.
Le business est divisé en deux activités : la création de sites web d’un côté et un service de vente en ligne de produits de beauté de luxe dirigé par la femme du boss d’un autre côté.
J’aurais bien aimé travailler sur le site des produits de beauté car ça me parlait bien niveau visuel, mais je me retrouve à photoshoper des vieux avocats dégarnis.
Bah, c’est bien aussi.

Tout se passe bien… jusqu’à la fameuse soirée d’intégration que je vous ai raconté dans mon billet précédent.
Vous avez tous été très choqués par cette soirée et franchement, y’a de quoi. J’étais réellement au bout du rouleau car je sortais déjà d’une expérience professionnelle pas terrible, en plus il m’attaquait sur LE point faible et enfin, je venais juste de rentrer dans cette boite. Pas terrible comme première impression.
J’ai eu très mal, je l’ai haï. Dans mon cœur y’avait que de la rage et de la haine à ce moment-là.
Et après cette soirée, j’ai rasé les murs un moment pour ne pas le croiser ou me retrouver seule avec lui.
Il ne devait pas être bien fier non plus, car si avant cet épisode il était plutôt poli, après il a eu tendance à baisser le nez et faire comme s’il ne me voyait pas.
Ca a duré un moment et cet épisode est resté tabou jusqu’à maintenant, je dois l’avouer.
Mais même si vous l’avez sûrement détesté vous aussi, je dois vous dire que j’ai appris à l’apprécier par la suite. Bah oui, ça arrive. Qui n’a pas haï Jaime Lannister pour l’apprécier ensuite ?
Ben dans la vie c’est comme dans Game of Thrones, les gens sont ni tout blanc ni tout noir.
Et lui, c’est un Jaime Lannister. Bon, la bogossitude en moins.
Par sa façon de s’exprimer très grossière et ses fréquentations, je me suis souvent demandé s’il ne venait pas du milieu Yakuza. A fortiori parce qu’il lui manque une phalange.
Et puis aussi c’est un homme très seul, manifestement très complexé par sa toute petite taille (oui, il tient de Tyrion aussi, il cumule).
Après l’avoir côtoyé quotidiennement pendant deux ans, je peux dire que malgré son côté aigri, c’est quelqu’un avec un grand cœur.
Juste très solitaire, qui se met minable tous les soirs et se donne en spectacle dès qu’il a un coup de trop dans le pif. Je ne compte pas le nombre de fois, où il est arrivé la gueule dans le cirage ayant perdu son porte-feuille ou son téléphone parce qu’il avait trop bu la veille.
Pendant les nomikai, certains collègues évitent de se mettre à côté de lui car ils savent qu’il dégénère assez vite.
Ironie du sort, il semble s’être beaucoup attaché à moi au fil du temps. Ainsi, s’il m’a humilié la première fois qu’il était bourré, quelques mois plus tard il me faisait des avances et m’a couru après à la sortie de l’izakaya pour me toucher les fesses.
Mon boss n’a rien dit sur le moment, mais il s’est fait passer un savon d’enfer en privé, d’autant que c’était déjà la deuxième fois qu’il avait un comportement déplacé envers moi.
Il y a quelques mois, Mr Catastrophe m’a accompagné à une de ces fameuses nomikai. Après quelques verres, Jaime-Tyrion est venu lui faire une tirade de sa voix tonitruante d’ivrogne pour dire que si Mr Catastrophe m’aimait, lui m’aimait le double et autres discours romanesques… pour finalement lui mettre la main dans le pantalon afin de vérifier que j’étais bien satisfaite.
Charmant.
Autant vous dire que Mr Catastrophe se souviendra autant que moi de sa première rencontre avec le personnage.
Jaime-Tyrion habite près de la salle de sport que je fréquente le matin avant d’aller au travail et il est déjà arrivé qu’on se croise et prenne le train ensemble. Il m’a avoué qu’il passait son salaire en alcool et en bar à hôtesses.
Au final je vous avoue que j’ai plus pitié de lui qu’autre chose, il est certainement bien plus malheureux que moi.
Voilà pour Jaime-Tyrion, je sais qu’il vous a marqué dans le récit précédent, donc je me permets de refaire un arrêt sur image sur lui.
Il s’est défoulé sur moi ce soir-là, mais si ça s’avère plutôt pathétique, c’était bête plus que méchant et je n’ai plus aucune rancœur contre lui.

Bref, il m’a fallu quelques semaines pour me détendre après cette soirée d’intégration absolument chaotique, mais les efforts de mon boss sont louables.
Moi qui viens de passer une année d’enfer, je dois avouer qu’il est aux petits soins. Il m’achète une série de logiciel, me paye une petite formation sur photoshop qui me permet de progresser, n’hésite pas à passer des heures à m’expliquer certaines choses pour me former.
Il explique plutôt bien, il est gentil… après tant de déceptions dans ce monde de brutes, je vous cache pas que je lui vouais une admiration et reconnaissance sans limite.
Je saoulais un peu tout le monde à coup de « J’adore mon boss ! », et venant d’une misanthrope, c’est pas rien.

Je ne vous cache pas que si j’ai toujours été bien acceptée dans l’entreprise, mon intégration n’est que partielle et mes TCA en sont en partie responsables.
Je ne vais pas manger avec eux le midi et reste manger mes merdes au bureau avec quelques autres nanas de mon âge. Mais ces espèces de Sansa Stark (oui, ce post est très Game of Thrones) ne parlent que de leurs mecs et de régimes à CHAQUE midi pour comparer leurs bento santé faits-maison.
Et moi de mon côté, avec mon shaker de protéines-poison et mes blancs de poulet cuits sans sauce et sans graisse, j’ai bien envie qu’on me foute la paix et qu’on regarde pas trop ce que je mange.
Surtout quand c’est pour me dire machinalement « Ca a l’aiiir boooon », pour réaliser en y regardant de plus près qu’en fait non, ce que je mange a l’air franchement dégueulasse.
Résultat, on s’entend plutôt bien, mais dès que la conversation tourne sur la ligne, je me ferme comme une huître malgré moi et lis un bouquin.

Au bout de quelques semaines, le boss vient me voir pour me parler de son nouveau projet : il vient de racheter un site de vente en ligne d’inkan.

L’enfer s’appelle inkan (印鑑)

Alors les inkan, qu’est-ce que c’est ?
Ce sont des sceaux faits en bois ou autres matériaux plus précieux qui servent à signer les papiers. Si, le nombre d’étrangers grandissant, la signature est parfois tolérée, généralement les Japonais signent via un espèce de tampon qu’ils font à leur nom et gardent toute leur vie.
Il est indispensable pour chaque souscription de contrat où gros achats comme l’achat d’une voiture ou d’une maison. Chaque inkan est unique et il permet donc de vérifier l’authenticité d’un document « signé ».
Si je ne m’abuse, ce système de sceau n’existe qu’au Japon, en Chine et en Corée.

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Notre plus gros client pour les sites web est une entreprise qui présente des bureaux d’avocats, comptables et experts fiscaux dans tout le Japon. Toute personne souhaitant monter sa propre entreprise se tourne généralement vers ces services pour faire la paperasse et monter leur business… et doivent obligatoirement faire un set d’inkan au nom de leur entreprise.
Lorsque ils demandent les services d’hommes de loi pour les aider à monter leur entreprise, la création d’inkan fait souvent partie du pack.
Ainsi, en créant un site de vente en ligne d’inkan, mon boss souhaitait créer un partenariat avec notre client : notre client demandant la création d’inkan chez nous, et nous en glissant un petit prospectus proposant les services de ces experts avec première consultation gratuite.
Bref, on m’a demandé un nombre incalculable de fois pourquoi une entreprise web s’était lancé dans la création d’inkan qui n’a strictement rien à voir, voici enfin la réponse à ce mystère.

A l’époque, mon boss a d’autres projets pour moi (il hésite à se lancer dans les jeux vidéos pour mobiles, son meilleur ami de lycée étant un des leaders sur le marché japonais et lui proposant de l’aider à s’y mettre) , mais ils sont encore loin d’être engagés.
Mes collègues sont occupés à leurs propres tâches et il n’y a que moi qui vient d’arriver qui n’ai pas de travail précis et me contente de donner un coup de main par-ci par-là pour apprendre. Donc comme le projet est aussi nouveau que moi, et que je suis la moins occupée de tous, il me demande de donner un coup de main sur ce projet en attendant de me faire travailler sur autre chose.
Remettre à neuf le site d’inkan, gérer les commandes, les fournisseurs, l’envoi etc.
A ce moment-là, il me dit qu’il compte créer une petite salle annexe avec des employés en baito qui s’occuperont de la confection des inkan mais que peut-être en attendant, je devrai m’en occuper. Ne serait-ce que pour apprendre comment ça marche et pouvoir superviser ces personnes.

L’idée qu’une française se retrouve au Japon à faire un job complètement improbable (graveuse d’inkan !) me fait sourire. Je suis curieuse et franchement, c’est toujours mieux que de laver des chiottes des hommes comme j’étais obligée de le faire chaque matin en arrivant au travail dans mon ancienne boîte.
D’autant plus que c’est temporaire, donc sur le coup je suis plutôt enthousiaste.

En quelques jours, mon patron m’apprend ce qu’il sait (soit pas grand-chose en fait), me donne la liste des fournisseurs, me montre comment marche le tableau d’administration du site de vente, comment on confectionne les inkans, le logiciel pour dessiner les patronymes et j’en passe.
Il me donne les bases, tous les codes et cartes des comptes et banque et…  en gros, débrouille toi.

Il avait d’autres occupations, donc même s’il surveillait de temps en temps ce que je faisais, je dois avouer que j’avais complètement carte blanche. Il m’a dit de lui-même : « ça t’apprend à gérer une entreprise ».
Mince, je passe de conchita à grande intendante des inkans, quelle promotion de carrière inattendue !
On postule pour de l’événementiel et on lave des chiottes, on postule comme développeur web et on grave du bois.
Ma vie est franchement palpitante.
Et mon blog mérite de jour en jour un peu plus son titre.

Mais je dois l’avouer, je suis contente de la confiance donnée. Et surtout, je suis bien dans mes basques : personne sur le dos !
Ok, j’ai jamais été passionnée par des tampons, mais je faisais ce que je voulais !
Il n’y avait strictement rien de fait (à part le site très moche qu’on avait racheté), aucun système, aucune règle.
J’avais tout à faire.
Je n’ai pas la formation, mais peu importe : on est en 2012. Google est mon ami, fidèle au poste, et je lis quelques dossiers sur la gestion de stock, les finances, le listing, le SEO, le web marketing… les inkan.
Bordel, je dois tout apprendre sur les inkan.
Le nom des matériaux (je les connais plus en japonais qu’en français), leur propriété, les différentes tailles, les différents types.
Car c’est beaucoup plus complexe qu’on ne le croit figurez-vous.

Toi, petit étranger venu t’installer au Japon. Je sais ce que tu as fait ! Tu es allé dans les boutiques d’inkan un peu partout, n’avais aucune idée de quoi acheter, a vu que ça coutait un bras, donc tu as pris le plus petit en bois : le moins cher.
Mais non, en fait ça ne se passe pas comme ça. Y’a des règles. Ben oui, on est au Japon, depuis quand y’a pas de règle pour quelque chose ?

Et comme tu RÊVES d’un blog sur les inkan que t’en dors plus la nuit, voilà un petit topo. Ne serait-ce pour ceux qui n’en n’ont toujours pas ou auront à en acheter un, s’ils veulent savoir comment choisir.

D’abord y’a trois types d’inkan.

Le jitsuin 実印

C’est celui qui sert à signer tous les papiers importants : assurance, mariage, naissance, achat d’un appartement etc.
Comme il signe tous les moments importants de votre vie, il doit normalement contenir votre nom ET votre prénom, et être enregistré à la préfecture. Si vous n’avez pas enregistré votre inkan, vous n’avez pas l’assurance de l’authenticité de votre contrat, hé oui.
Vu son importance, les Japonais n’hésitent pas à mettre le prix pour celui-là : ambre, corne de buffle, titane… ivoire.
Oui, le Japon et la protection des animaux ça fait deux. Par quelques contournage de lois douteux, ils vendent encore de l’ivoire. Soit disant que ce serait de l’ivoire procuré avant la loi de 1973.  Imaginez leurs stocks depuis 30 ans pour en vendre quotidiennement…
Lorsque je reçois les papiers d’autorisation de vente d’ivoire, il est souligné en gros que je n’ai pas le droit d’en vendre à des étrangers puisque c’est interdit à l’étranger.
Si possible, ça arrangerait ma conscience de ne pas en vendre tout court.
Pour un jitsu-in, le diamètre de l’inkan est relativement gros : 13,5 à 15mm pour les femmes, 16,5 à 18mm pour les hommes (oui oui, suivant ce que tu as entre les jambes, la taille change).

Le Ginko-in 銀行印
Comme son nom l’indique pour les japonisants, c’est l’inkan pour tous les papiers concernant la banque. Emprunt, investissement, nouveau compte.
On y écrit que le nom de famille seulement, il fait entre 12 et 13,5mm pour les femmes et 13,5 à 15mm pour les hommes.

Le Mitome-in 認印
C’est l’inkan qui ne sert à rien d’important, si ce n’est signer les petits papiers comme la réception d’un colis, la signature d’un reçu ou autre.
Bref, les petites signatures de la vie de tous les jours.
Il indique que le nom de famille et est très fin : 10,5 à 12mm, homme ou femme.

Vous l’avez compris, les petits inkans pas chers qu’achètent presque tous les étrangers en arrivant sont censés servir à réceptionner le chocolat et le foie gras envoyé en colis par maman seulement.
Et n’a donc pas vraiment de valeur.
Vous croyiez pas que les Japonais signaient leur contrat de mariage avec les petits inkans en plastiques tout nases vendus à moins d’un euro dans les 100 yens shop quand même ?

Bref, à moins qu’un Japonais l’ai fait pour vous, les trois quart des étrangers utilisent des inkan « pas conformes ». Bon, ça n’empêche rien dans la vie de tous les jours, mais niveau authenticité ce n’est pas tout à fait ça.
Pire dans mon cas où à Osaka, le vendeur a refusé de faire un inkan avec mon nom de famille, comme quoi il ne rentrerait pas. J’ai donc utilisé pendant sept ans un inkan avec mon prénom en katakana dessus…
Mon ami Raphael, s’est également fait refuser ET le nom de famille, ET le prénom. Il a signé les papiers les plus importants de sa vie avec un inkan indiquant « Raph ».
Fantastique.

A l’époque je me disais, bon je ne suis pas japonaise, ça rentre pas, tant pis.
Bullshit.
Pour en avoir fait tous les jours pendant un an et demi, je peux vous le dire. CA RENTRE.
J’ai fais des inkans pour des « Muhammad Benlalla » sans problème.
Juste, c’est plus chiant à faire.
Mais pas impossible. Donc vous faites pas prendre pour des pigeons quand on vous dit qu’on peut pas vous faire votre tampon, c’est pas vrai.
Par contre, certains prennent des frais supplémentaires pour les noms de gaijin, hé oui, y’a pas de petits profits.

Bref, y’a aussi tout plein d’autres règles infinies sur les inkan pour entreprise mais on va peut-être pas en faire un cours en amphi non plus, donc passons.

Bref, me voilà donc à apprendre toutes ces règles et propriétés.
Tout le vocabulaire.
Et la confection. Poncer l’inkan, le polir, le nettoyer, le reponcer, le repolir, le graver, le reponcer sur papier fin pour qu’il soit bien plat, et tester le tamponnage avec force dans les bras pour faire un tampon PARFAIT et l’envoyer au client.
Très important de réussir un tampon parfait et fort en couleur :si le client foire ses tamponnages, il ne peut pas se plaindre d’un défaut de fabrication, vous lui avez envoyé la preuve que c’est lui qui est nul.
C’est un détail, mais un détail qui m’a pourri la vie et m’a valu une belle tendinite.

Il faut pas mal de force dans les bras pour le ponçage et ce foutu tamponnage parfait, mais le reste est divertissant. J’ai jamais rêvé d’inkan dans ma vie, mais j’apprécie de découvrir un métier typiquement japonais et de faire quelque chose de nouveau.
Même si le logiciel est très archaïque et peu pratique (donc à ceux qui se posaient la question, oui c’est en effet impossible de dessiner deux fois exactement le même inkan), j’aime bien dessiner les noms.

Mon patron me dit que je m’occuperai de tout jusqu’à avril-mai, puis quand le business démarrera, il commencera à embaucher d’autres personnes et je n’aurai qu’à organiser et superviser, tout en retournant à des tâches un peu plus en phases avec ce pour quoi j’ai été embauchée.

Sur le moment, ça ne me dérange pas du tout. Certes, je suis dans une pièce sans chauffage ni air conditionné ce qui fait que lorsque je suis à la confection, je travaille en doudoune, bonnet et écharpe, mais ça ne me prends qu’une infime partie de la journée donc je relativise.
Gérer les stocks, les commandes, les réponses aux clients et les expéditions, c’est nouveau et je fais tout à ma sauce donc ça reste divertissant.

Les mois passent, les commandes augmentent, j’essaie de gérer au mieux mon temps pour m’occuper du business d’inkan de A à Z et continuer mes tâches web en même temps.
Au mois de mai, la confection des inkan me prend une bonne partie de la journée donc j’attends avec impatience l’arrivée des petits nouveaux qui s’en occuperont pour que je puisse m’atteler à autre chose. J’ai même – à la demande de mon patron – rédigé le fameux manuel pour les petits nouveaux !

Mais personne n’est embauché. Les excuses sont diverses et plus ou moins valables.
Je forme toutefois une collègue censée m’aider, mais de toute évidence, poncer et graver du bois n’était pas le rêve de sa vie. Elle m’aide à la confection une semaine ou deux, puis s’arrange pour ne s’occuper que de répondre au téléphone et continuer le reste de ses tâches habituelles.
Mais moi au contraire, comme je dois m’occuper des commandes d’inkan toujours plus nombreuses chaque jour et que personne ne m’aide à la fabrication, on me retire petit à petit mes projets web pour que je puisse me « concentrer » sur les inkan.

Me « concentrer » sur les inkan, ca veut dire poncer, polir, reponcer, graver, repolir. Que de la joie quoi.
Au mois de juillet, ça devient l’enfer.
Le site a pris son envol et on reçoit 20 à 30 commandes par jour, ce qui veut dire que pour ne pas perdre pied, je dois en envoyer au moins autant. Sauf qu’une commande ne veut pas dire un seul inkan. Généralement les clients font un set des trois différents, quand ce n’est pas une entreprise qui fait une commande de 20 tampons pour leurs nouveaux employés.
Je me retrouve avec plus de 50 inkan à fabriquer par jour, ainsi que leur emballage, la préparation des bordereaux de livraison… et tout le reste. Les stocks, la paperasse des finances, la gestion des commandes, être à la disposition des clients etc.
Et ça a beau n’être qu’un petit bout de bois ou de plastique, les clients sont CHIANTS.
Ce sceau va leur servir toute leur vie, et puis ils en ont besoin dès demain matin pour signer le contrat de leur vie de caissier de combini, alors on hésite pas à vous faire recommencer le dessin quinze fois avant d’exiger qu’il soit envoyé dans l’heure, c’est pas possible d’être aussi lent !

Si au début être dans une petite pièce confinée ne me dérangeait pas plus que ça, quand on ponce du bois pendant 8h d’affilée ça devient vite invivable. La sciure vole, me rentre dans les yeux, dans la bouche.
Je tousse de plus en plus en manquant de m’étouffer, même le soir à la maison, et ai les yeux irrités et tout gonflés. Ce qui a finit en conjonctivite sur plusieurs longues semaines.
En plus, s’il suffit de se couvrir en hiver pour pallier le manque de chauffage, en été… et ben il faut prendre sur soi. Et qui a déjà vécu un été japonais et son humidité étouffante, comprendra bien que travailler pendant 8h dans une petite pièce poussiéreuse sous 35° ressentis 45° fait légèrement péter un boulon.

Il faut que je parle à mon patron, je ne peux pas continuer éternellement à faire ça. Et comme en juillet on arrive à la fin des six mois de ma,période d’essai, on a un petit entretien privé pour faire le point qui tombe bien.
Je lui dis ce qui ne va pas, la poussière, la chaleur, que je ne fais que ça depuis bientôt six mois alors que ça devait être temporaire et surtout que son activité de jeux pour mobiles prend forme et que j’y suis très intéressée.
Il s’excuse que le recrutement de nouvelles tête prennent autant de temps, que c’est pour bientôt etc.
Ensuite, comme ça fait déjà six mois que je m’occupe de tout toute seule et que j’ai quasiment tout mis en forme moi-même, il me propose de passer manager dès qu’il y a des nouveaux, avec une paye en adéquation avec mes reponsabilités.
Le bougre touche un point sensible, car mes études à Tokyo n’étaient pas gratuites et je rembourse encore et toujours mon prêt étudiant ce qui me pourrit un peu la vie depuis un moment avec mes payes au ras du sol dans une des villes les plus chères du monde.
Quand je serai enfin débarrassée de la confection, j’aurai beaucoup plus de temps pour travailler sur d’autres projets comme les jeux, mais pour l’instant que je patiente.

Bon, d’accord.

En plus la fin de la période d’essai est synonyme de petite augmentation, c’est pas Versailles mais c’est toujours ça et suffit à mettre du baume au cœur.
Donc je prends sur moi et continue de me demander ce que je fous là à chaque fois que je ponce un nouveau morceau de bois.

En septembre, toujours personne d’embauché, et toujours moi en train de mourir (même avec masque et lunettes de protection pour lesquels j’ai investi de ma poche pour travailler) dans ma pièce poussiéreuse.
On reçoit une énorme commande de NTT de 150 gros inkan à envoyer en moins de deux semaines. Sauf qu’ils sont gros et la confection prend environ 1 heure pour chaque… avec les autres commandes qui s’accumulent si je ne m’en occupe pas, c’est l’enfer.
C’est une commande à plus de 400 000 yens donc on ne peut pas se permettre de refuser… alors débrouille-toi Sonia.
Je reste plus tard le soir, je viens plus tôt le matin, je ponce, je grave, je ponce.
Putain les mecs, je ponce quoi.
Je suis le Chuck Norris du ponçage.
J’ai fais des études supérieures jusqu’à 26 ans, je suis trilingue, j’ai traversé le monde pour venir vivre à Tokyo… Et je ponce du bois du soir au matin.
C’est absolument fantastique, je pense même que c’est du jamais vu chez les Françaises échouées au Japon.
J’innove dans les jobs de merde. Sonia, la pionnière des expatriées qui poncent.
Waouw.

Comme je passe ma journée dans la sciure, je m’habille comme un sac et ne me maquille plus, de toute façon je vais finir dégueulasse.
Mes collègues m’appellent « L’artisan de France », et le pire, c’est que c’est même pas pour se foutre de ma gueule. Y’a vraiment de l’admiration dans leurs yeux quand moi je suis au bout du rouleau.
Bref, y’a pas de sot métier, j’ai rien contre les gens qui poncent et gravent du bois.

Mais j’avais juste d’autres projets de carrière quand j’ai fais 10000 bornes pour venir jusqu’au Japanisthan que de finir au goulag de l’inkan.

Par un drôle de miracle, je boucle toutes les commandes plus celle de 150 inkan dans les temps. Mais je passe plusieurs heures chaque soir à la tâche du « tampon parfait » et chez NTT ils sont sans pitié, c’est des inkan très gros et très durs à tamponner qu’ils ont commandé.
Je crois que personne n’a aucune idée de ce que c’est tant qu’il ne l’a pas fait, mais c’est juste horrible.
A la fin de la semaine, je me tape une tendinite dans le bras droit qui me réveille la nuit tant ça me fait mal, et qui ne guérit pas puisque je continue de poncer et tamponner tous les jours.

Je parle une nouvelle fois à mon patron des problèmes de poussières, que je suis seule, que j’aurais besoin de quelqu’un d’autre etc.
Mais mon boss est accaparé par le lancement de son activité de jeux, et ça rentre par une oreille pour ressortir par l’autre.

Donc en septembre 2012, j’en suis là.
J’en ai marre.
Je ne gagne pas super bien ma vie. Je vis, mais tout juste. L’école et la traduction du week-end servent à envoyer en France pour rembourser mon prêt, je ne le dépense pas.
Ma paye de l’entreprise est assez basse, je tiens le mois mais pas de quoi économiser non plus. Si tombais malade et devrais me faire soigner un truc ou quoi, je ne pourrais même pas payer.
Outre les finances pas terribles, j’en suis venue à détester mon job. On m’a retiré tout ce qui était web pour que je fabrique ces sceaux à la con toute la journée, j’ai le bras et la main qui me lancent, j’ai mal aux yeux, je tousse tout le temps.
Point de vue privé, c’est pas terrible non plus. J’ai peu d’amis et je les vois jamais. Je suis célibataire depuis bientôt un an et quand on voit les connards que j’ai eu avant je n’y crois plus du tout.
Sans oublier le fait qu’à cette période je vomissais plusieurs fois par jour quotidiennement et commençais à me rendre compte de l’étendue des dégâts.

Je travaille du lundi au dimanche pour pas un rond, je me fais chier, je me sens seule, moche, nulle. Le Japon que j’aime, je n’en profite plus parce que je n’ai ni le temps, ni les moyens.
Là, tout se résume à aller au boulot et poncer, faire des traductions, faire des cours, ne rien dépenser et être chez moi à méditer mes problèmes de bouffe.
Je suis sur les nerfs tout le temps, tout m’énerve, je me plains tout le temps.
Cette vie est vaine.

En tous cas, depuis un peu plus d’un an elle ne vaut plus d’avoir sacrifié amis et famille. Je me dis qu’il y a des promesses que j’ai faite à des gens en France que je ne tiendrai jamais car avec ma semaine de congé par an je n’aurai jamais le temps.
Et pour quoi ? Pour poncer du bois, être pauvre et me sentir seule. Je suis restée après 2011 et ses folies mais ce que je reconstruis derrière n’est pas si terrible.
Ça ne vaut plus le coup. Je suis fatiguée.
J’ai envie de m’en aller cette fois.

J’ai envie de prendre un sac à dos, de tout plaquer, et de me casser loin d’ici pour voir le monde.
Les gens qui me connaissent bien savent que je voue un culte à l’émission Pékin Express. Oui je sais, c’est  truqué, c’est de la télé réalité pour ménagère de moins de 50 ans pigeon de l’audiovisuel tout ce que vous voulez, mais ça on s’en fout. Ce que j’aime moi, c’est voir tous ces pays, ces paysages, les rencontres, et les candidats qui vivent des trucs de fous qui les marquent à vie.
Faire un Pékin Express maison, le rêve de ma vie !

Oui à ce moment-là, je me prends à rêver de partir et voir ce qui se passe ailleurs.
Je vous écris mon blog sur mon baito et pour me souvenir de tout, relis des mails envoyés en 2010.
Je m’étonne parce qu’à l’époque, je dis déjà que mon seul regret de m’installer au Japon, c’est de ne pas partir voir le monde. Que si jamais je n’ai pas mon visa pour 2011, alors peut-être que je partirai voyager.

J’essaie d’imaginer un nouveau rêve pour ma vie, je me renseigne sur les différents visas des différents pays, lis des blogs de voyageurs.
Mais… en vérité je ne me sens pas prête.
Je suis une dégonflée.
Le Japon représente 10 ans de ma vie, depuis mon tout premier voyage en 2003. Et même si je n’ai plus une vie qui me permet de profiter des aspects que j’aime de ce pays, je l’aime toujours.
Je m’y sens chez moi.
Et puis surtout, si je venais à le quitter, je refuse que ce soit en situation d’échec, quand tout va mal.
Je suis faible et tout ce que vous voulez, mais je suis pas une perdante.
Je refuse d’en devenir une.
Je me trompe, je me prends des baffes, je me fais avoir, je tombe. Peut-être même plus que la moyenne. Mais y’a pas moyen que je me relève pas.
Si je quitte un jour le Japon, c’est pas en perdante quand je me sens au plus mal.
Sinon, c’est comme si toutes les années que je lui ai consacré se transformaient en pitoyable échec. Comme si je fuyais.
Et alors que ce pays a motivé mes choix de vie depuis l’adolescence, ce serait partir sur un souvenir amer. Avec de la rancœur peut-être.
Je refuse.
Et peut-être qu’en fait je ne veux pas partir et que c’est juste parce que je suis dans une mauvaise passe. Peut-être que si tout allait mieux, je n’aurais plus du tout envie d’aller voir ailleurs.

Alors je décide de réessayer encore une fois. Tout recommencer, tout faire pour améliorer ma situation et être heureuse.
Et quand j’y arrive, je saurai. Si je veux rester ou finalement partir quand même à la découverte d’autres pays.
Je me donne jusqu’à la fin de mon visa (avril 2014) pour ça, et à ce moment là, selon ma situation, je saurai si j’ai envie de le renouveler ou non.

C’est parti, ni une ni deux, je recommence à chercher du travail. Si possible dans une branche qui me plaît avec aucune seconde activité qui n’a rien à voir comme coupeur de tronc ou croque-mort où, avec ma chance, je serais susceptible de finir.
Malheureusement, j’ai utilisé ma semaine de congés pour rentrer en France en mai pour un mariage et n’en ai plus.
Trouver des excuses pour m’absenter à des entretiens s’avère assez difficile à la longue et je dois me contenter des entreprises qui m’intéressent vraiment.
J’ai plusieurs ouvertures sérieuses qui se terminent en eau de boudin… J’ai l’impression de revivre 2010.

En novembre, je croule toujours sous mes inkans et ma déprime, la seule idée qui m’aide à me lever du lundi au dimanche, c’est celle de réussir et soit profiter de cette réussite, soit aller voir ailleurs.

Comme je suis toujours dans ma petite pièce poussiéreuse, je prends quelques libertés pour pas devenir folle comme écouter de la musique pour couvrir le bruit des machines à graver. De l’autre côté de l’open space, on doit croire que je vis à la cool. Je suis toute seule, je grave en écoutant Bigbang et Francis Lalanne (j’ai des lubies étranges des fois), je fais ce que je veux.
Personne ne se doute qu’en fait je speed pendant 8h en faisant cinq choses à la fois et que je suis à bout de force.
J’ai bien reparlé à mon patron mais la tête dans ses jeux, il m’oublie dès qu’il n’a plus les yeux sur moi.
Un de mes collègues qui semble croire que je me la coule douce demande à travailler lui aussi aux inkans.
Je suis au top de ma vie, enfin quelqu’un qui accepte de faire cette merde avec moi !
Je comprends vite qu’il ne s’imagine pas une seconde de l’énergie que ça demande quand je le vois se poser tranquillement avec son café à côté des machines à siroter tout en feuilletant des revues plutôt que de bouger son cul.
Mon patron me demande de le former en 2 semaines, en 2 mois il ne s’en sort toujours pas. Il mélange les commandes, se trompe de taille, de matériau, de forme.
Il réussit même l’exploit DEUX FOIS d’envoyer un inkan pas du tout gravé (mais qu’est-ce qu’il a tamponné ?). Honnêtement, il est assez fascinant dans sa capacité à réussir chaque jour une connerie différente.
Finalement je dois toujours être derrière lui pour vérifier et rattraper. On a beau être deux, on met encore plus de temps qu’avant.
D’autant qu’il semble avoir de plus en plus de mal à accepter les reproches de quelqu’un  qui non seulement est beaucoup plus jeune mais en plus est Français. Quand je lui dis qu’il y a des règles à respecter lors du dessin selon la police japonaise choisie, il ne me croit pas, il connaît quand même mieux les inkan que moi, il est Japonais ! Je suis toujours obligée de lui fournir des documents japonais pour lui prouver ce que je dis ce qui m’use au reste.
Très vite, je suis au bord du pétage de boulon. Après tout, j’ai appris toute seule dans une langue qui est même pas la mienne, pourquoi je devrais enseigner à un abruti qui pige rien et en plus ne me croit pas.

Au bout d’une semaine il commence à se plaindre. Il a mal au bras droit, aux yeux, à la gorge. C’est inadmissible de travailler dans ses conditions, il s’en va se plaindre au patron.
Dans la semaine, on avait un aspirateur à vapeur pour la sciure, un radiateur pour l’hiver et des travaux pour l’installation d’un système d’aération.
Je suis à la fois contente de ces améliorations et sidérée : j’en parle depuis six mois il ne se passe rien, l’autre se plaint une fois et hop, on change tout.

Malgré tout, mon collègue semble regretter amèrement d’avoir demandé de passer dans cet enfer. Quand il cherche le Graal du tampon parfait, tout l’open space l’entend se plaindre qu’il a mal au bras, que c’est trop dur.
En décembre, il donne sa démission, il a envie d’autre chose et veut changer de profession.
Comme je le comprends.

En janvier, du jour au lendemain, on accueille une nouvelle pour m’aider aux inkan. Car l’air de rien, les commandes sont toujours de plus en plus nombreuses et ça devient impossible à gérer seul.
Je suis assez soufflée, parce non seulement il a recruté cette personne sans même m’en parler, mais en plus il a consulté pour cela celle qui se contente de répondre au téléphone après avoir refusé de faire la fabrication.
Heureusement qu’il m’appelle « manager », quel beau foutage de gueule.

Je me dis très vite qu’il a très mal choisi sa nouvelle recrue, jeune femme apprêtée de 40 kilos tout mouillés… Elle se débrouille nettement mieux que mon ancien collègue, mais n’ayant aucune force dans les bras, elle n’arrive ni à poncer ni à tamponner.
Les tâches que j’exècre le plus me sont donc immanquablement allouées. Quelle chance !

Pire, comme elle travaillait comme graphiste avant, très vite mon patron lui demande de travailler plutôt sur le projet des jeux pour mobiles et de ne m’aider aux inkans que quand elle le peut.
J’explose.
C’EST-CE QUE JE DEMANDE DEPUIS DES MOIS, POURQUOI ELLE !!!!!

Mais on me répond le plus naturellement du monde que le problème, c’est que y’a que moi qui connaît aussi bien l’activité et qui arrive à être aussi rapide, donc comme je suis la plus efficace, c’est moi qui y reste.
D’un autre côté, comme les jeux rapportent plus, on préfère investir là-dedans plutôt que de recruter pour mes pauvres inkans à la con.

Les mois passent, et à part ma rencontre miraculeuse avec Mr Catastrophe, je n’ai pas avancé d’un iota dans ma quête du bonheur. En plus cette rencontre complique tout, car si j’ai enfin trouvé quelqu’un de bien, qu’est-ce qui se passe si je décide de partir ?

En février, je passe un coup de gueule. J’en ai marre d’être toute seule aux inkan, si la demoiselle a été engagée pour m’aider, pourquoi je me retrouve encore avec tout sur les bras quand c’est quasi impossible de faire tourner le truc seul ?
J’obtiens qu’elle me relaie tous les après-midi où je peux faire autre chose que de la fabrication.
Notre site est moche et comme tout le monde ne parle que des jeux et que personne ne s’intéresse à ma pauvre activité, je décide dans mon coin de refaire le site de A à Z, du codage aux bannières jusqu’au texte.
Je n’ai plus refait de site depuis des mois, je n’ai pas progressé mais je tente.
Et en un mois, en m’y collant deux trois heures par jours et en faisant corriger le texte par une collègue, j’ai tout refais.
Au moins pour cette partie là de la journée, je ne suis pas au bout du rouleau.

Quand la nouvelle version est en ligne, le site triple son chiffre de vente (double effet kiss cool d’une tristesse sans nom : encore plus de tamponnage et de ponçage).
Je regrette presque d’avoir fait ça, quand mon patron demande à me voir en privé.
Et là, contre toute attente… il m’annonce qu’il a été étonné de ce que j’avais fais pendant ce mois où j’étais un peu plus disponible. Qu’il avait peut-être fait une erreur en me laissant si longtemps à la fabrication des inkan alors que j’aurais pu me montrer efficace dans des domaines plus lucratifs.
Il me propose donc de passer dans l’équipe des jeux vidéos… mais que comme les inkans prennent un temps fou et demande une vitesse énorme, former une nouvelle personne à mon niveau prendrait trop de temps. Donc si je passais aux jeux, ce serait l’occasion de revendre le site des inkans pour pouvoir se concentrer exclusivement sur nos applications.
Et là, il s’excuse.
« Je suis désolé, tu as mis tellement d’énergie dans cette activité depuis plus d’un an, ça doit te faire mal que je veuille vendre quand tu as tout fait. Donc je te demande, si tu ne veux pas passer aux jeux et continuer, je comprends. »

IL EST CON OU QUOI ???
J’arrête à la seconde moi s’il le faut ! Des mois que je demande que ça !!!
Ouiiiiiii! Je suis euphorique. Enfin j’arrête !

Et comme je viens de tout refaire, il peut même se permettre de vendre le site encore plus cher qu’il ne l’avait acheté en plus des bénéfices engendrés… autant dire qu’il se fait plaisir.
Mais putain pas plus qu’à moi. Enfin, ENFIN !!!!!!
Dès le mois de mars, je passe dans l’équipe des jeux. On fait des « Otome games », des jeux de simulation d’histoires d’amour pour femme.
Des scénarios niais, des héros dignes du manuel de la drague que je vous ai fait (le « ore-sama » on y coupe pas !), du rose, des cœurs, des étoiles.
Tout ce qui me parle !
Je dois faire le site des jeux, mais on m’apprend aussi à coder le scénario, faire sous photoshop les décors, les expressions des personnages, dessiner les set de vêtements à vendre dans le jeu pour gagner en charme.
Je dois apprendre à maîtriser plein de choses inconnues en peu de temps, mais ça me plaît. Ok, les jeux puent la guimauve et les scénarios sont prévisibles, mais putain je viens de passer plus d’un an à poncer ! Puis j’apprends à faire plein de choses qui m’intéressent, mince je prends mon pied !
Même si des fois je soupire devant la niaiserie du scénario prévisible, je kiffe, je suis au top.

Ce même mois, Mr Catastrophe m’annonce qu’il y a beaucoup réfléchit et que si je décide de quitter le Japon pour aller voir ailleurs, alors il viendra avec moi.

Mes TCA c’est pas la joie, mais ça va mieux.
Je ne me sens plus seule. Je ressors, je refais des voyages.
Et même si je ne suis toujours pas riche, je commence à beaucoup aimer ce que je fais au travail. Je râle parfois pour le plaisir, mais y’a pas à dire, je n’ai plus envie de changer de job.
J’adore faire mes bannières, j’adore regarder des magazines pour m’inspirer des jolies tenues à dessiner, j’adore me rendre compte que je progresse et maîtrise de mieux en mieux les logiciels.
Les histoires des jeux sont drôles et quand le scénario est vraiment trop nul (attendez, une héroïne infirmière qui sauve quelqu’un d’une attaque cardiaque… en lui faisant boire un verre d’eau…NO WAY !), je me permets de le dire franchement alors mon boss fait remodifier.
Il me fait changer de place pour que je sois à côté de lui, et franchement ça me fait chier car il regarde toujours ce que je fais, mais on parle beaucoup et il me demande mon avis pour beaucoup de choses.
Après plus d’un an oubliée dans une salle insalubre, j’avoue que je me sens flattée.

A la fin du printemps 2013, si ce n’est les finances, tout va plutôt mieux. Je n’ai plus envie de pleurer quand je me lève le matin, j’aime bien ce que je fais.
Ma vie devient enfin stable.

Alors… est-ce que j’ai toujours envie de partir ?
Oui.

J’ai envie d’être libre. Je n’ai plus envie de travailler sept jours sur sept. J’ai envie de découvrir de nouvelles choses. J’ai envie de vivre pour moi, de prendre le temps, de me poser.
Ne serait-ce que pour mes problèmes de bouffe, vivre à cent à l’heure au pays des nomikai n’est pas l’environnement adéquat. Même si dans l’ensemble ça va mieux, ce n’est pas parfait et ce mode de vie 100% travail m’est toxique je pense.
J’ai besoin de souffler.
Je n’ai pas envie de quitter vraiment le Japon, mais si je le fais pas, je pense qu’un jour je regretterai de ne pas avoir su prendre le temps de penser à moi, et de ne pas avoir eu le courage de découvrir d’autres choses alors que j’ai toujours rêvé d’une vie de nomade.

Je reste sur mes positions.

Mr Catastrophe aussi, il ne s’inscrit pas à l’école comme il avait prévu au départ : son visa expirera en octobre.

Oui mais enfin ! C’est bien beau de faire des projets, mais quand on a pas un rond je sais pas où on va !
C’est bien d’avoir de l’ambition mais si on a rien derrière pour assurer…
Pendant l’année j’avais commencé à mettre de côté mais entre l’augmentation des impôts, le renouvellement de mon appartement (on repaye une caution « offerte »….) etc., je n’arrive pas à économiser assez.
Même en ne m’achetant strictement plus rien pour moi.

Je m’étais donné jusqu’à avril 2014, mais voilà mon échéance avancée au mois d’octobre. Et en octobre, je n’aurai jamais assez pour tout payer la vie sur place, les billets d’avion et j’en passe.
Et je dois avouer qu’après avoir mis tant de temps à trouver un travail que j’aimais bien, le quitter à peine je m’épanouis me faisait un peu mal.

C’est là que j’ai pris la décision de tenter un coup de poker sur ma vie.
Entre juin et juillet, j’essayé d’apprendre un maximum de choses et proposé un projet concernant les jeux à mon patron. Emballé, il a accepté et m’a laissé les rênes pour le mettre en route.
Alors pendant ces deux mois, je me suis donnée à fond pour lancer ce projet en plus de mes autres tâches.

Et ensuite… c’est fourbe mais, je lui ai posé un ultimatum.
Je pars ou je pars.
Mais soit je pars en démissionnant et du coup il se retrouve un peu embêté car il devra chercher quelqu’un d’autre sans avoir l’assurance que ça se passe bien.
Soit je pars en me mettant à mon compte, et on continue de travailler à distance. J’avais déjà préparé ma longue liste d’avantage comme le fait d’avoir quelqu’un sur place quand il sortira ses jeux en langue étrangère ou le fait de ne plus avoir à payer de taxes pour moi vu que je ne serai plus employée.
C’est un coup de poker dans le sens où s’il disait non, je me retrouvais sans emploi et sans assez d’argent pour partir par-dessus le marché…
Je lui ai expliqué diplomatiquement les différentes raisons de mon départ, professionnelles comme personnelles, il les comprend et en profite au passage pour s’excuser de m’avoir laissée moisir avec mes inkans.
Il est toutefois un peu sonné de mon annonce, il ne s’y attendait pas.

Il me demande de le laisser réfléchir.
Le lendemain, il avait augmenté considérablement mon salaire. Ce qui venait résoudre le seul point qui me faisait encore défaut : les finances.
Je sais que cette augmentation n’est pas anodine et ne veut dire qu’une chose : reste.
Mais cette fois ma décision est prise, même si l’idée de rester avec une paye acceptable et un job sympa reste tentant.
Sans faire exprès (je cherchais des tweets d’utilisateurs à propos de nos jeux), je tombe sur son compte personnel. Il tweetait qu’il avait fait une erreur de management monumentale, qu’en se concentrant sur son business il avait négligé le ressenti de ses employés et le regrettait. Qu’être un bon patron ne demandait pas que des stratégies marketing mais aussi des capacités humaines donc qu’il devrait faire plus d’effort.
Je me suis sentie un peu triste en lisant ça. Parce que même si je l’ai haï parfois depuis ma pièce sous la sciure, ce n’est pas quelqu’un de méchant.

Je le laisse réfléchir plusieurs semaines et, hasard total, il me convoque une nouvelle fois le 7 août, le jour de mon anniversaire.
Il accepte.
Pire, il décide d’avancer la sortie de ces jeux en langues étrangères et me laisser m’en charger depuis l’étranger.

Où que j’aille : j’ai un travail, j’ai une paye qui tombe.
Comme je lui ai dit que je partais aussi pour des raisons de santé, il me propose même un salaire entier pour seulement trois jours de travail par semaine, que je puisse prendre le temps de me reposer.
J’ai envie de pleurer, si c’est pas le plus beau d’anniversaire qui soit ça…

La suite, vous vous en doutez certainement.
Oui, les enfants… j’ai décidé de tourner la page Japon et d’attaquer un nouveau chapitre.
C’est un peu ironique dans le sens où c’est juste au moment où ce blog commence à être lu par beaucoup de fans du Japon. Mais rassurez-vous… j’ai encore plein de choses à vous raconter : 2011, moi prof en maternelle, les hosts, les mariages, les magazines masculins, et j’en passe.
J’ai encore beaucoup de choses à raconter, et comme j’aime mieux raconter les choses avec du recul, je ne posterai peut être pas tout de suite sur ma nouvelle vie.

Tout s’est enchaîné très vite : la paperasse à faire pour le départ, trouver quoi faire de ses affaires, l’envoi de milliers de cartons par bateau (énorme trou dans le budget), courir les banques, la préfecture, les pots de départ.
J’ai été surbooké ces deux derniers mois et je sais que j’ai dû décliner pas mal d’invitation, répondre avec un délai considérable aux emails et j’en passe.
Je suis vraiment désolée.
Je suis aussi désolée de n’en avoir parlé qu’à très peu de personnes, comme jusqu’au dernier moment je n’étais pas vraiment sûre de pouvoir partir, j’ai décidé de ne pas m’infliger un stress supplémentaire de questions sur mes projets.

J’ai travaillé à l’entreprise et à l’école jusqu’au tout dernier moment. Ne presque rien changer du quotidien a fait que je ne réalise pas du tout ce départ, j’ai peur de la claque quand je m’en rendrai enfin compte.
J’ai passé toutes ces dernières semaines à verser ma larmichette à chaque fois que je me disais que c’était sûrement la dernière fois que je faisais telle chose, la nullos.

Lundi 30 septembre 2013 était ma dernière journée à l’entreprise. Malgré ma misanthropie et ma capacité à refuser presque tous les repas dehors avec mes collègues, ils m’avaient préparés des cadeaux, des lettres et un énorme bouquet de fleurs.
J’ai pleuré comme un veau, pire qu’une finale de secret story.
Le boulot, les collègues… on râle, on râle, mais on les aime bien quand même dans le fond.
Jaime-Tyrion semblait être un des plus malheureux.

Mardi, j’ai couru partout fermer mon compte en banque, mon téléphone, payer mes dernières factures, chercher divers papiers, envoyer les derniers cartons et  faire les valises.
Et hier, avec moins de dix heures de sommeil au compteur en 3 jours, c’est en pleurant un litre de larmes que mon avion a décollé pour la Corée du Sud.

Je suis venue pour la première fois au Japon en octobre 2003, je le quitte en octobre 2013.
10 ans.
Un énorme chapitre. Avec du bon, du mauvais, mais rien que je ne regrette. Et je reviendrai, de toutes façons.
Je referai certainement un billet faisant le bilan de tout ça aussi.

Bref, me voilà prête à vivre de nouvelles aventures. Tout d’abord quelques mois en Corée du Sud, puis un retour pause en France. Et enfin si tout va bien -la vie est pleine de surprises-, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Après, on verra.
Je vous épargne l’histoire de comment je nous ai foutu à la porte de chez nous à 2h du matin la veille du départ sans pouvoir continuer de préparer nos valises et comment on a dû traverser tout Tokyo en taxi emmerder une amie pour récupérer un jeu, ni comment je me suis fait questionner pendant 1h30 à l’aéroport avant d’embarquer –sans même savoir si on me laisserait monter !- hier soir car je n’avais apparemment pas acheté mon billet d’avion comme il fallait.
Bref, Pierre et Richard partent conquérir le monde.
Ça promet.

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