Moment de solitude en prison

      26 commentaires sur Moment de solitude en prison

Je vous promettais au dernier confinement la reprise du blog… Comme d’hab, ça a failli !
Mais la vie a voulu que je me concentre sur la recherche d’un emploi, sur ma nouvelle vie avec ce nouvel emploi et… divers événements qui ont fait que.
Mais même avec des mois de retard, chose promise chose due… Je reviens !
Vous le vouliez, vous l’avez : un article !
Un article à l’ancienne, où je vis un de mes plus gros moments de solitude, où je me demande ce que je fais sur cette terre et rêve de m’enterrer vivante au fin fond de l’Arizona si ça peut au moins me sortir de cette situation un peu naze… En gros, un de mes moments de souffrance dont j’ai le secret, et dont vous vous délectez toujours avec avidité.
Bande de psychopathes.

Mais le fait est que cette histoire fait toujours rire mes amis qui me disent qu’elle a sa place sur ce blog alors… Let’s go !

Plantons d’abord le décor de notre belle anecdote, médaille de platine du malaise.
L’histoire prend ses racines il y a déjà cinq ans, en Australie.


Après quelques mois à apprivoiser cet immense pays et son accent un peu déroutant (vous vous souvenez peut-être de l’histoire du boyfriend à la banque… ) à Sydney puis Melbourne, l’heure était venue pour moi d’aller voir ailleurs si j’y étais. J’entends par là réaliser ce que j’avais décidé à la base pour ce voyage : faire le tour du pays valise à la main.
J’ai donc entrepris de partir de Melbourne pour aller à Adelaide, puis Perth, remonter petit à petit toute la côte ouest jusqu’à Darwin, redescendre tout au sud en traversant le centre du pays en passant par Alice Spring, puis remonter jusqu’à Cairns par l’est.
Voilà un aperçu du schéma que j’avais fait en cours de route pour mes proches à l’époque :

Vaste entreprise dont vous aurez certainement d’autres anecdotes dans d’autres articles… Peut-être dans dix ans vu mon rythme d’écriture, mais vu la tronche de ma vie sociale en 2021 on a le droit d’y croire : la crise sanitaire semble être de votre côté et me force à vous récompenser, vous lecteurs fidèles souvent laissés sur le carreau.

Revenons à nos moutons kangourous. Pour pouvoir me loger à moindre prix, j’alternais entre prendre un lit dans les dortoirs de hostels pour backpackers, ou parfois si j’en trouvais à un prix acceptable, une chambre chez l’habitant trouvée sur airbnb, ce qui me permettait au passage de rencontrer des Australiens. Car le fait est qu’en ne passant que d’un hostel à l’autre, on ne rencontre que des voyageurs, pour la plupart étrangers et qu’on se mélange peu aux Aussies… Donc alterner l’un et l’autre me paraissait être un bon compromis pour varier les expériences.
Et c’est ce que j’ai fait arrivée à Perth. J’ai trouvé une chambre très coquette louée à un prix modeste en banlieue proche du centre de Perth, chez Hillary, une Australienne mère célibataire quadragénaire et entrepreneuse.
Elle vivait seule dans une immense maison, travaillait pour sa propre entreprise dans la finance, vivait joyeusement de fitness, de mojito et de voyages à Bali entre copines… jusqu’à tomber enceinte à quarante ans d’un homme qui a eu vite fait de prendre ses cliques et ses claques à l’autre bout du monde en apprenant la nouvelle.
Or, Hilary vivait très mal cette nouvelle vie de mère célibataire isolée, où tenter d’endormir un bébé qui pleure a remplacé ses soirées fiesta entre copines. Elle avait donc pris l’habitude d’accueillir dans son immense maison une à deux personnes de passage.
Une personne qu’elle hébergeait gratuitement en échange de baby-sitting pour son fils de trois ans, et parfois une seconde personne à qui elle louait une chambre pour avoir une rentrée d’argent en plus, mais surtout je crois, de la compagnie.
Elle accueillait généralement des étudiants étrangers en échange universitaire ou des personnes en visa vacances-travail comme moi, car elle adorait écouter les histoires de ses guests à travers le monde.
Quand je suis arrivée dans la maison, elle hébergeait depuis quelques mois Jack, un Allemand de mon âge en vacances-travail qui s’occupait depuis quelques mois du baby-sitting du petit.
Donc pendant que Jack jouait à mettre des cubes de couleurs dans des trous de la même forme et galérait le nez dans des couches nauséabondes, Hilary profitait de mon excellente compagnie devant un plateau d’huîtres et une bouteille de vin blanc devant la télé.
La base.

J’ai beaucoup aimé passer ces quelques semaines chez elle. Je me suis très bien entendu avec Jack et Hilary, je partais vadrouiller la journée dans Perth et ses alentours, j’avais ma propre clés pour rentrer à l’heure que je voulais, j’étais logée dans une chambre tout au fond de la maison donc j’avais ma tranquillité quand je restais pour travailler, et de temps en temps on se retrouvait pour passer une soirée tous ensemble.
Bref, j’étais vraiment très bien tombée.

Hilary offrait deux jours libres à Jack par semaine pour qu’il puisse faire autre chose que courir après un petit monstre enragé et c’est ainsi qu’il m’a gentiment proposé d’utiliser une de ces journées de repos pour me faire visiter un peu les coins sympa.
Bien sûr, j’accepte.
Nous voilà donc partis pour Fremantle (« Freo » pour les intimes), une petite ville figée dans le temps située à une vingtaine de kilomètres de Perth.
Fremantle fait partie des centres culturels les plus importants de la région de Perth.
Elle est notamment célèbre pour son architecture unique, son histoire et ses convict-built qu’on traduira littéralement par des bâtiments « construits par les bagnards ».
Comme vous le savez sûrement, l’Australie a, après avoir été découverte par les Européens, été majoritairement peuplée par des criminels qui encombraient les prisons britanniques. Si on synthétise grossièrement, nos amis Anglais ont envoyé leurs prisonniers en OZ pour faire d’une pierre deux coups : se débarrasser des indésirables et coloniser le pays. Au pire, si le bateau coule avant d’arriver jusqu’à ce bout du monde hostile, on a pas perdu grand chose.
Ah bah on savait déjà être pragmatique à l’époque.
Donc oui, résumé vulgairement, les Australiens non Aborigènes sont pour beaucoup des descendants de taulards. Pas étonnant qu’ils aient pas peur des bêbêtes, les mecs ont du sang de gros durs dans les veines et ils en ont vus d’autres du temps où leurs ancêtres égorgeaient des villageois ou cambriolaient la noblesse londonienne pour trois bijoux.
(J’avais pas dit dans un blog précédent que j’éviterais à présent l’humour sur les pays/communautés ? Rendons-nous à l’évidence, c’est un échec. Mais j’ai quand même tenu presque deux pages words.)
Bref, je m’égare.
Comme les Anglais ont un sens certain du management, nos bagnards parachutés en Australie devaient – en plus de survivre à la faune hostile – construire des édifices pour purger leur peine, notamment le plus célèbre : la prison de Fremantle.
Vous l’aurez compris, les prisonniers ont construit eux-mêmes les murs où on allait les enfermer.
Malin.
De ce fait, cette prison a une histoire très riche et fait partie des endroits « à visiter » quand on passe à Fremantle. D’ailleurs, elle a même emprisonné des célébrités puisque on peut compter parmi ses résidents Bon Scott, l’ancien chanteur d’AC/DC.


Voilà pour vous tout plein d’informations pour briller en soirée. Enfin, dans le monde d’avant, à l’époque où il y avait encore des soirées quoi.
Je vous parle d’un temps que les moins de un an, ne peuvent pas connaître…

Bref, Fremantle est vraiment une petite ville très agréable, culturellement riche, que Jack prend le temps de me faire visiter tout en m’expliquant tout ce qu’il sait, de la prison à la Maison Ronde (le plus vieux bâtiment encore debout de l’Australie Occidentale) en passant par la plage jusqu’au charmant centre ville où regorgent les bars, les magasins et les cafés branchés dans des bâtiments à l’architecture magnifique.

Bref, on passe un excellent moment et on ne rentre que tard le soir après avoir bien profité de notre journée.
Je lui suis reconnaissante d’avoir joué les guides d’un jour, et comme on fait souvent entre backpackers qui ont partagé un voyage éphémère ensemble : on échange nos coordonnées et nos Facebook.

Mon séjour sur Perth s’achève, je passe une dernière soirée avec Hilary et le petit, je reprends mes clics et mes clacs et pars m’enterrer pour plusieurs jours de bus dans le rien de l’ouest australien jusqu’à ma prochaine destination.

Passe ensuite un an, où je continue mon périple Australien, rentre en France la tête pleine des plus beaux souvenirs de ma vie, puis reviens poser mes valises au Japon début 2016.
Puis vers le printemps, je reçois un message de ce bon vieux Jack qui depuis a terminé son visa vacances-travail en Australie et est retourné vivre en Allemagne, et m’annonce qu’il vient voyager au Japon, dont quelques jours à Tokyo avec un de ses amis.
C’est donc en toute bonne foi que je lui propose de lui renvoyer l’ascenseur et de lui faire visiter Tokyo.
Malheureusement, il n’est de passage qu’en semaine et je croule sous le travail, je ne suis donc disponible que le soir.
Mais qu’à cela ne tienne : y’a plein de choses à faire le soir à Tokyo !
Désireuse de faire plaisir, je demande à Jack ce qui lui ferait plaisir de découvrir : soirée plutôt dans le style japonais traditionnel ou japonais crazy ?
Il me dit qu’ils ont déjà prévu tout un lot de restaurants de sushi et de temple à se faire pendant leur périple, et donc qu’il aimerait plutôt voir le côté fou du Japon.
Go pour crazy donc, c’est pas ça qui manque…
Il me précise juste que ça les arrange d’être sur Shibuya, si je peux trouver quelque chose dans le quartier.
Pas de problème, niveau crazy y’a de quoi faire dans le coin.

Ceux qui connaissent bien le Japon se diront que je ne me suis pas trop foulée – hé, j’avais beaucoup de boulot ! – mais je décide d’opter pour une valeur sûre auprès des touristes Occidentaux : le Lock Up.
Le Lock Up est un des multiples restaurants à thème au Japon. Et si les expats et les nippophiles de la première heure connaissent très bien ce genre d’établissement, généralement ça fait toujours mouche auprès des voyageurs néophytes.

En détails, le Lock Up c’est quoi ?
C’est un restaurant-prison. En gros, quand vous arrivez, une petite fliquette hyper mignonne en mini-jupe vient vous passer les menottes et vous traîne dans un dédale infini de cellules sombres.

(Photo ci-dessus tirée du compte twitter officiel du restaurant)

Une fois qu’on arrive à sa propre cellule, on a déjà plus aucune idée d’où on se trouve dans ce foutu restaurant tellement tout est sombre et se ressemble. Evitez donc les alcools diurétiques type bière pendant votre repas, sinon à chaque envie de pisser vous errerez des heures dans ce labyrinthe infernal pour trouver les chiottes, jusqu’à finalement abandonner pour pleurer dans un coin perdu parmi les cellules et qu’on finisse par retrouver votre cadavre sec et esseulé quelques mois plus tard.
Comment ça j’en rajoute ?

La nourriture servie est gustativement très discutable (je dirais que leur plat de pâtes vaut bien la digne note de étudiant fauché/20 au guide michelin du médiocre), mais elle a le mérite d’être sympa : forme de chauve-souris, de squelettes, de pierre tombale etc.

Bref, on vous met dans l’ambiance du lieu et c’est plutôt sympa.
Et une fois par heure : il y a un happening.
Toutes les lumières s’éteignent, une alarme sonne, une grosse voix vous annonce qu’il y a une évasion de monstres détenus dans la prison et qu’ils sont en train de se balader en pleine liberté dans les couloirs.
Les monstres en question : de jeunes Japonais sûrement étudiants en quête d’un job d’appoint pour se payer leur prochain portefeuille Louis Vuitton déguisés d’un sac à patate et d’un vieux masque en plastique premier prix acheté vite fait au Donki (Foir’fouille japonaise) du coin.
(Au Diable mes résolutions de ne plus être médisante… je ne sais pas écrire sans mauvaise foi de toute façon.)

(Photo tirée du compte twitter officiel du restaurant)

Nos jeunes freluquets déguisés pour pas cher viennent donc nous terroriser en entrant nos cellules en poussant des cris horrifiques, secouer les barreaux de nos portes, se rapprocher d’un peu trop près en faisant mine de nous attaquer… Jusqu’à ce que les fliquettes en mini-jupe viennent leur mettre la pâtée sur la musique à fond de Ghost Busters.

C’est rigolo, c’est bon enfant, ça fout un peu la trouille mais pas trop (je suis une immense trouillarde et ce niveau guignolesque me convient tout à fait), c’est très sympa pour une soirée d’anniversaire ou de Halloween, et pour les Occidentaux en vacances qui n’ont pas l’habitude aux restaurants à thème, c’est toujours une agréable surprise et un moment rigolo qui feront une belle anecdote. J’avais zéro chance de me planter sur ce coup.

Je m’apprête donc à téléphoner pour réserver notre table… Mais comme souvent, les Dieux ne sont pas avec moi, et on m’informe que le Lock Up est fermé tout le mois pour rénovation.
Arrg !
Mince, moi qui avais mon plan tout prêt, il faut que je trouve autre chose.

Je cherche donc sur Internet, et là, je vois que beaucoup d’internautes comparent le Lock Up à un autre restaurant à thème du même type : l’Alcatraz E.R.
Ce dernier se trouve également à Shibuya, est exactement dans le même genre (un restaurant prison) et bien souvent, il est commenté pour être « encore mieux que le Lock Up ! ».
Cool ça.
Il me semble en effet en avoir déjà entendu parler, mais je ne l’ai jamais testé.
Je vais donc rapidement voir le site, constate en survolant les photos que c’est également un restaurant prison horrifique. Sans chercher plus loin je réserve, heureuse d’avoir aussi rapidement trouvé un plan B.

Arrive le jour J et je retrouve notre ami Jack ainsi que son compère dont j’ai complètement oublié le prénom, et que nous appelleront donc Gustaf, pour faire Allemand, pour pouvoir l’appeler Gusgus quand le cœur nous en dit et parce que pour faire la paire avec Jack, c’est drôlement bien trouvé.
Ça frise même le génie.

Entre la gare et le restaurant je fais connaissance avec Gusgus et lui demande ce qu’ils ont fait de leur journée. Il me raconte qu’ils ont passé l’après-midi dans un neko café (soit un café où on paye pour consommer sa boisson entouré de chats) mais qu’il a détesté cette expérience.
Comme je suis pas fan des cafés exploitants les animaux, je me demande si c’est pour les raisons que je soupçonne et lui demande pourquoi mais sa réponse est à des années lumières de mes questions éthiques : « Bah on avait l’air de deux gros gays avec nos chocolats chauds au milieu des chats. C’était horrible, je suis hétéro moi, je sais pas pourquoi on a perdu notre après-midi dans ce truc.»

Ah.

Je note donc que Gusgus semble atteint du fameux syndrôme de masculinité fragile où l’orientation sexuelle est très vite menacée par trois chats et un Nesquick.
Fort bien.

Comme je ne trouve déjà plus grand chose à lui dire, j’abandonne donc Gusgus à ses réflexions un poil homophobes pour prendre des nouvelles de Jack depuis tout ce temps.
Je le préviens que j’ai prévu un petit restaurant « crazy » afin de répondre à sa demande et que j’espère que ça lui plaira.
Et c’est ainsi que très enthousiastes, nous arrivons devant le restaurant… qui deviendra le théâtre de mon plus grand moment de solitude.

À vos popcorn.

Nous arrivons dans l’établissement et à peine entrés, je remarque que l’ambiance du restaurant est un cran plus glauque que celle du Lock Up.


Au Lock Up, si tout est sombre et se veut horrifique, on reste dans un délire bon enfant avec un décor digne du train fantôme de la Foire du trône.
Là, je vois des cellules au loin, et les serveuses fliquettes en mini jupes sont remplacées par des serveuses en mini blouse d’infirmière, donc on pourrait penser qu’on reste dans un délire « prison de l’horreur » version hôpital psychiatrique abandonné… mais je sens assez vite qu’il y a quelque chose de différent. Peut-être un peu trop de faux sang et de faux membres humains un peu partout, ou peut-être ces objets en latex et en métal un peu partout qui ne me disent rien qui vaille…
L’homme qui semble être le manager des lieux est moyennement accueillant et nous fait attendre.
Jack et Gustaf sont entre amusement et gêne, ils ne savent pas trop à quoi s’attendre.
Gustaf, clairement pas à l’aise, se fait plus petit et bat en retraite pour s’appuyer contre le mur, mais il semble se prendre quelque chose dans les fesses et se retourne d’un bond.

Ah.

Pour quelqu’un qui avait peur que son hétérosexualité soit remise en doute dans un café à chats, se prendre un god rose bonbon dans l’arrière-train à peine arrivé dans mon restau, ça doit lui faire tout drôle.

Des fois, je trouve qu’il y a quand même dans l’ironie de la vie un alignement des planètes fascinant. Je ris sous cape de ce retour de karma, et pourtant… Un malaise s’installe.
C’est quoi le rapport entre mon restau à thème prison et les sextoys… ?

Après quelques minutes à attendre dans l’entrée, on nous emmène enfin à notre cellule, un peu à l’écart des autres clients.
Comme le veut la coutume dans les restaurants au Japon, la serveuse nous apporte très vite nos oshibori, soit les rouleaux de serviettes chaudes (en hiver, sinon froides en été) pour qu’on puisse se rincer les mains tout en se réchauffant en peu.

Sauf qu’au lieu de me tendre normalement ma serviette, la serveuse se tourne vers moi et me dit en anglais POUR QUE TOUT LE MONDE AUTOUR DE CETTE TABLE PUISSE BIEN COMPRENDRE :

« See ? It looks like a dick. Do you like dicks ? « 

Heu…
Bah c’est à dire que là, à brûle-pourpoint… Je ne sais pas quoi répondre, voyez-vous.
Jack et Gusgus ouvrent des yeux ronds et se tournent vers moi, clairement pas sûrs d’avoir bien entendu.
Je bafouille une réponse inintelligible, le dos déjà trempé de sueur, mais la serveuse ne me laisse pas m’en tirer à si bon compte et continue.

« It looks like a dick, but a soft dick. I prefer hard dicks. What about you ? »

Et je n’ai pas le temps de me réjouir qu’elle ne me laisse pas le temps de répondre, que la jeune dame prend mon visage… ET ME BIFLE AVEC LA SERVIETTE.

Oui, mesdames et messieurs, vous avez bien lu.
Ma première – et dernière – bifle, et elle a eu lieu à mon insu dans un restaurant glauque face à deux semi-inconnus qui commençaient à sérieusement se demander où je les avais emmenés.
Vous avez le ton de la soirée.

Rouge écarlate et pétrifiée de honte, je glousse bêtement pour sauver la face alors que je me liquéfie intérieurement, et je commence à me justifier auprès de nos voisins Allemands qui se demandent clairement le degré de « crazy » du lieu que j’ai choisi.
Je leur précise donc qu’en fait je ne connais pas cet endroit, que je voulais les emmener dans un autre que je connais bien et qui est plutôt rigolo, mais qu’il est en rénovation et que celui-là était réputé pour être du même genre.
Je précise qu’il a l’air un peu plus branché humour graveleux, mais que tout le monde en commentaire disait que c’était un restaurant à thème très sympa, donc que y’a pas de raison.

Jack se marre, mais Gustaf est plus fermé et raide que jamais.
Je commence à me dire que cette soirée risque d’être longue.

Bref… C’est à ce moment-là qu’on découvre le menu.
Et malheureusement, les choses vont de mal en pis.
Si au Lock Up, la bouffe prend la forme de petites têtes de mort, de petits fantômes ou à la limite d’un bonbon en forme d’œil dans votre cocktail… Là, quasiment tout prend toujours une tournure sexuelle.
Cocktails à mélanger avec des gods ou des plugs anaux, bananes dégoulinantes de lait concentré, bœuf à la sauce blanche très suggestif, jusqu’au dessert phare : la gelée de fruits rouges…

Qui une fois terminé, selon une photo vue sur le tripadvisor japonais, ressemble à ça…

Bon appétit.

Alors si on peut quand même accorder au chef son ingéniosité impressionnante pour rendre sa bouffe plus indécente que nature avec un réalisme déconcertant, je sens que je suis en train de perdre l’Allemagne en face de moi.
Jack et Gusgus regardent la carte d’un air effaré – et dégouté, appelons un chat un chat – tout en échangeant des messes basses en allemand.

A cet instant, je me sens comme ça :

Même si ce n’est franchement pas ragoutant et que je suis pas très fan du délire, peut-être que si j’étais venue là avec des amis proches, on aurait pu en rire. Mais le fait est que je suis seule avec deux hommes, un que je ne connais absolument pas et l’autre que j’ai connu quelques jours il y a plus d’un an et avec qui je n’ai quasiment jamais échangé depuis…
Du coup, plutôt que de rire ensemble du côté complètement grotesque de cette soirée et de transformer ce fail en fou rire, un gros malaise s’installe à notre table.

Clairement, la gelée de fruits rouges servie sur la serviette hygiénique leur a coupé l’appétit… Et on ne va pas leur jeter la pierre, qui a envie de payer pour bouffer là-dessus, sérieux ?
(Selon les commentaires sur internet, beaucoup de monde… Notre civilisation n’a-t-elle pas mérité le covid, finalement ?)

Ils retournent donc vers la page des cocktails, cherchant le truc qui les dégoûtent le moins et certainement pas trop phallique pour eux.

Et alors que je regarde les ingrédients de chaque cocktail, dont certains ont l’air pas si mal malgré le visuel, mon regard bloque sur une boisson en particulier.
Celui traduit en anglais par « Contraception Juice ».

 

Dans la liste des ingrédients, il y a marqué « Lychee + Grape + Sperm in condom ».
Donc évidemment, je pense à une blague potache, comme un peu tout le reste de la carte.
Sauf que ce qui m’interpelle, c’est que pour tous les autres cocktails, il y a marqué les vrais ingrédients. Ainsi, c’est souvent précisé que le faux sperme est du lait concentré. Mais là, non.
Intriguée, je lis la description en japonais… et là j’en lâche ma fourchette.
終わった後のアレを再現してしみました!
ホンモノですので、嫌な方は無理せず

Qu’on pourrait traduire rapidement par :

Nous avons essayé de reproduire la chose après avoir terminé notre affaire.
C’est du vrai, donc évitez si ça vous rebute.

Je bugue sur la seconde phrase.
ホンモノですので、嫌な方は無理せず, C’est du vrai, donc à éviter si ça vous rebute…

…Ils parlent… de quoi au juste ?
C’est quoi qui est… « DU VRAI » ???
Ça ne peut quand même pas être du vrai sperme, c’est impossible. Ils parlent forcément du préservatif, c’est une blague graveleuse au message franchement discutable du genre « C’est mieux sans », n’est-ce pas ? Ça ne peut être que ça, de toute façon.
Mais je ne peux pas m’empêcher d’avoir un peu le doute… Parce que pour tout le reste, c’est du vrai aussi.
Les cocktails sont bien mélangés avec de vrais godemichets, ce sont des vrais plugs anaux dans les verres, la bière est bien servie dans de vrais conteneurs d’urine, ce sont de vrais tampons qui flottent dans les boissons rouges en guise de sachet de thé, et c’est bien une vraie serviette hygiénique en guide d’assiette pour le dessert.
Et pourtant, pas une fois il est précisé pour ces accessoires : « c’est du vrai, donc évitez de commander ça vous dégoûte », alors…

Une part de moi pense que c’est une blague à la con vis à vis du préservatif, d’autant que… A quel moment ce serait possible ?
Je veux dire, déjà rien que pour faire les stocks d’ingrédients, ça se passerait comment ?
Y’aurait un vieux crado dans la cuisine, une main dans le falzar et l’autre en train de zapper sur youporn prêt à livrer commande ?
Je veux bien admettre que ce monde est fou, mais quand même… Ce restau est plébiscité par plein de touristes, c’est impossible…

Et d’un autre côté, ce pays est tellement fou. On a bien déjà trouvé des distributeurs de culottes usagées, donc à partir de là…

Non. C’est tout bonnement impossible, mais je ne peux pas m’empêcher de douter, abandonnée seule dans mon coin de table pendant que Jack et Gustaf n’arrivent pas à se décider car rien ne leur inspire confiance.
Du coup, je décide de garder mon doute pour moi.

Jusqu’à ce que je les vois s’attarder sur ce cocktail, cherchant à savoir ce qu’il est écrit. Car depuis le début, ils me demandent régulièrement de traduire le menu.
Raaaah !

Je me dis que ça ne peut être qu’une sale blague, mais transparente, je leur traduis tout de même ce qui est écrit en japonais.
Et là, j’ai beau insister sur le « mais c’est sûrement des conneries, ils doivent parler du préservatif… », je sens mes deux acolytes devenir tout blancs. Gusgus marmonne à nouveau en allemand, demandant certainement à Jack s’il est sûr de bien me connaître, et si je ne vais pas les emmener ensuite dans une ruelle sombre pour les dépecer et vendre leurs reins au marché noir. Voire leur semence, pour alimenter les cocktails de ce restau de malheur.

Et alors que j’essaie de les convaincre que c’est forcément une blague au goût douteux, que ce restaurant reste assez populaire et connu donc impossible qu’il serve ce genre de choses… Les gérants de l’établissement semblent décidés à me décrédibiliser.

En effet, ils choisissent pile l’instant où je tente de les rassurer, pour faire sortir un groupe de clients Japonais de leur cellule, pour leur faire boire des shot de tequila… suivi de grosses baffes dans la gueule.

 

J’ai trouvé des vidéos, pour vous donner une idée :

Autant vous dire que mon laïus pour dire « mais non hihi, c’est un restaurant un peu potache, voilà tout » avait autant de crédibilité que Buzyn quand elle nous a sorti que le coronavirus ne viendrait jamais chez nous car elle avait mis des affichettes dans les aéroports. Je sors les rames, pagaie à contre-courant de toutes mes forces.
Je sens Gusgus plus tendu qu’un string trop petit après les fêtes de Noël, regardant les autres clients se faire tarter la gueule de bon cœur d’un air ahuri.

Le malaise est tellement palpable à notre table, qu’un silence de mort s’est abattu sur la France et l’Allemagne, plus du tout dans le délire.
Les minutes deviennent heures, j’ère dans un tunnel infini de gênance, et je ne vois pas -ne serait-ce qu’un reflet- de la lumière de la délivrance.

Finalement, nos compères sont dégoûtés de la carte – en vrai, moi aussi du coup– et optent pour un cocktail le plus soft possible et le riz cantonnais en forme de nibards.

Petits joueurs nous sommes.
Comme je suis stupide, je choisis le cocktail dans un biberon, car il m’évite au moins de le boire avec un plug anal.
…Et bien évidemment, ma copine l’infirmière bifleuse vient en remettre une couche en me prenant le visage dans ses mains pour me donner le biberon.
Sauf que mes invités ne pensent qu’à se barrer de cet endroit, et chaque intervention de ce genre les tend davantage et me donne un peu plus envie de m’enterrer vivante.

Et alors qu’on mange et déguste un repas garanti sans sperme, toutes les lumières s’éteignent pour le happening du restaurant.
Putain, j’avais oublié ces conneries.
Si au Lock Up l’ambiance est plutôt drôle et fait sursauter vite fait – et encore, parce que je suis trouillarde, sinon c’est juste rigolo -, là tout est plongé dans le noir total, il y a des bruits de pas, des râles, la voix d’un enfant qui nous souffle qu’on va crever… Ambiance film d’horreur bien au delà de ce que je suis capable de supporter.
Et seule à mon bout de table, terrorisée dans le noir, j’attends recroquevillée et les larmes aux yeux que ça s’arrête, pendant que Gusgus et Jack se serrent les couilles entre coudes (ou l’inverse).

Jack semble essayer de profiter quand même de la soirée, mais Gusgus est clairement au bout de sa vie, comme s’il allait se faire attaquer par un nouveau god ceinture à tout moment. Evénement qui semble sans fin… Jamais la musique entraînante de Ghost Busters ne m’a tant manqué.
A peine l’événement fini, on finit à peine notre riz en forme de boobs moisis, et on s’en va sans demander notre reste.

A peine sorti du restaurant, nos deux amis veulent décompresser et aller en boîte de nuit.
Moi je suis rincée, pas du tout à l’aise, et surtout je travaille le lendemain, alors après m’être excusée pour le mauvais choix de restau, je les lâche dans le coin des discothèques et les abandonne…
D’ailleurs, je soupçonne très sérieusement Gusgus d’avoir été soulagé que je ne leur propose pas une boîte de mon cru…

Etrangement – non -, je n’ai jamais revu Jack ensuite et on n’a plus jamais échangé… Je pense sincèrement les avoir traumatisés.

Au final, je n’ai jamais su s’il y avait vraiment du sperme dans ce foutu cocktail.
Je pense que non (impossible autrement, point de vue sanitaire, tout ça tout ça), et que c’était forcément une mauvaise blague au lait concentré, mais en cherchant quand même une réponse à cette question, j’ai vu que je n’étais pas la seule à avoir bloqué la dessus et à avoir la trouille :

« Mais pour le cocktail Contraception Juice, qu’est-ce que ça veut dire le « c’est du vrai » au juste… ? (terreur) « 

Au final, même si c’était pas mon type de délire, je pense que y’avait moyen d’en rire et de passer une bonne soirée malgré tout si j’avais été avec des amis proches… D’ailleurs, en règle générale, tous les groupes d’amis qui sont allés là-bas se sont marrés. Comme quoi, on peut vraiment rire de tout, mais ça dépend avec qui…
Là, ça a quand même été un epic fail, et eux qui voulaient du crazy, je pense qu’ils ont été tellement choqués que 4 ans après, ça doit encore alimenter – tout comme moi – leur discussions en soirée.

Etrangement, alors que l’Alcatraz semblait hyper populaire auprès du public, il a fermé définitivement six mois plus tard, alors qu’il faisait toujours salle comble.
Mon imagination a alors aussitôt visualisé une inspection d’hygiène trouvant monsieur crado la main toujours dans le calbut pour délivrer son Contraception Juice.

Pouah…

Bref, c’était l’histoire de deux visites de prison.
Une culturelle à Fremantle, agréable et intéressante.
Et la mienne, de loin mon plus gros échec de guide touristique…

26 thoughts on “Moment de solitude en prison

  1. Maud

    OMG ça faisait tellement longtemps que je n’avais pas ris comme ça ! Je suis désolé que tu aies eu à vivre cet enfer mais je ne pourrai toujours que rire de tes formulations parfaites !

    Reply
  2. ashe2806

    Ça a du être le summum du malaise mais punaise, ça m’a bien fait rire en tout cas xD
    Ma journée commence bien grâce à toi, j’espère que la tienne sera au top xoxo

    Reply
    1. Sonyan Post author

      Alors je ne sais pas si c’est ton mot qui m’a porté bonheur, mais sache que le jour où tu l’as posté, j’ai en effet passé une journée au top haha
      Merci !

      Reply
  3. Pandablond

    Mon dieu j’ai tellement ris !
    Je l’ai lu dans le bus et un peu au travail, compliqué de ne pas mourir de rire en lisant cet article !
    Vraiment une perle !!

    Reply
  4. Malorie

    Juste, merci, cette histoire devait définitivement être partagée avec nous pour rendre notre confinement supportable et nous rendre ce sourire si rare! Très contente de pouvoir lire un nouvel article de ta part. C’est plutôt drôle, j’ai l’impression que les allemands sont en général les premiers à avoir un humour graveleux, donc j’aurais vu ce genre d’expérience comme quelque chose qu’ils adoreraient! Comme quoi, on est toujours surprise 😀

    Reply
    1. Sonyan Post author

      Oui, c’est ce qu’on me dit souvent, qu’on pense que les Allemands ont un humour plus graveleux que ça… Je pense que c’est surtout Gustaff qui était un peu coincé, Jack semblait plus ouvert, mais était surtout gêné car il voyait que son pote n’appréciait pas du tout le trip.

      Reply
  5. AlexJTBE

    Je ne comprend pas la réaction de tes invités, l’Alcatraz a invariablement été un hit avec les miens, y compris les rencontres du jour même! Le hitori asobi notamment a toujours fait mouche. Bon je n’y ai jamais emmené d’Allemands, le problème est peut-être là. 🙂

    Note qu’à l’époque où j’y allais (plus de 12 ans déjà) le petit évènement de 22h consistait à prendre un client, le faire s’allonger par terre sur le dos, lui relever les jambes tandis que les clients entonnent un compte à rebours et que l’infirmière s’équipe d’une énorme seringue, pour finalement lui smasher la dite seringue dans la porte arrière sous les hourras du public… Malheureusement je vois que ce rituel a été un peu adouci mais l’esprit a été préservé, ce qui reste le plus important.

    Ahhh quel dommage que cet endroit ait fermé, il était tellement cool.

    Reply
    1. Sonyan Post author

      Pour le coup, comme je disais dans un autre commentaire, je pense que c’était surtout Gustaff qui était coincé et choqué, et comme Jack était son ami et l’avait embarqué dans cette histoire, il avait du mal à se lâcher.
      Car sans lui, je pense que Jack aurait pu bien s’amuser.

      Ha ha ha, si mes convives avaient vu l’événement auquel tu as assisté, ils auraient été en PLS x)

      Reply
  6. Julie

    Je rigolais tellement que j’ai dû reprendre la lecture de l’article à haute voix pour mon homme qui finissait par se poser des questions… Pas sûr ma santé mentale hein, il n’a plus d’illusion là dessus xD
    Merci pour l’expression « serrage de couilles entre coudes » qui me fait pleurer de rire ! Je t’adore !
    Merci !

    Reply
    1. Sonyan Post author

      Merci à toi de toujours prendre le temps de commenter ! Et ravie d’étoffer ta panoplie d’expressions !

      Reply
  7. Mr Black

    Oh Sonyan, tu régales : j’en suis qu’à la moitié de l’article et j’en ris aux larmes !

    Merci du fond du cœur (surtout en ces temps moroses) !
    Tu es et resteras à jamais ma blogueuse préférée !

    Prends bien soin de toi et tes proches 🙂

    Sur ce, je retourne terminer l’article !

    Reply
    1. Sonyan Post author

      Que d’honneur de rester ta préférée malgré toutes mes pauses ! Surtout que de nos jours, plus beaucoup de gens suivent des blogs, on est tous passé à Youtube et autres… 🙂
      J’ai de la chance d’avoir des lecteurs aussi fidèles !

      Reply
  8. Robin

    Sonyan… toujours aussi percutante… On devrait payer pour te lire franchement. Porte-toi bien mon amie et à la prochaine histoire.

    Reply
  9. Emilie

    Merci pour cet article qui m’a provoqué fou rire sur fou rire! Je me demande depuis si c’est vraiment possible que ce soit du « vrai »….

    Reply
    1. Sonyan Post author

      Alors c’est que j’ai rempli mon job, vous faire rire était le but !
      Il semblerait selon un commentaire reçu sur Twitter que ce soit bien du lait concentré et non du vrai 🙂

      Reply

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.