Après plus de deux ans de suspense insoutenable (combien m’auront googlée pour trouver les spoilers ?), voici enfin le fin mot du premier tome de ma vie à Tokyo, ou comment j’ai enfin trouvé un travail m’offrant le sésame tant rêvé : un visa travail.
Je vous préviens, ce billet est encore long (mais moins que celui du stage, vous pouvez le faire, je crois en vous) et ça a été un peu la course contre la montre pour le terminer avant de partir pour l’aéroport. Résultat, je n’ai pas bien le temps de me relire et il y aura surement plus de fautes que d‘habitude et pas toujours d’accent faute de clavier. Mais vous me pardonnerez j’en suis sûre.
Je résume le résumé pour les petits nouveaux qui me font la joie d’agrandir mes troupes à chaque post : je suis au Japon depuis janvier 2010 dans le cadre d’une formation de « business Japanese » dans une école de langue, je vais en cours chaque matin jusqu’à 12h40, deux à trois fois par semaine je fais un baito ou je répare des iPhone de 13h à 22h, et les deux à trois jours qui restent de la semaine, je fais un stage absurde digne du plus mauvais scénario de Shyamalan (oui bon le sixième sens était sympa mais souvenez-vous LE VILLAGE, raaah), de 13h à 20-21h.
Autant vous dire qu’avec des journées de 12 à 13h de cours/boulot sans compter les transports, mes semaines sont bien remplies.
Mais tout cela suffit juste à me former, me payer à bouffer voire m’acheter de la merde à Disney Store de temps en temps.
À cote de ça, il faut aussi décrocher un CDI d’ici mars pouvant sponsoriser un visa donc interdit de chômer la demi-heure de libre que j’ai tous les trois mois !
Encore une fois, je pense m’y être mal prise, mais bon ça, c’est l’histoire de ma vie.
Mon gros défaut étant toujours de vouloir faire les choses sérieusement et correctement, mais de ne pas être assez maline. Ajoutez à cela une petite pincée de malchance et vous obtenez des mois de galère.
Ma première bêtise, je crois déjà que ça a été de n’avoir pour proche aucun Français ici depuis longtemps. Au final la seule amie que j’ai eue était ici qu’en Working Holidays et est repartie des le mois d’août, et sinon il y avait Etienne que je voyais quelques fois par semaine en stage mais il ne cherchait pas non plus a rester ici. Donc autant vous dire que je n’avais aucune personne dans la même situation a qui demander conseil ou de qui m’inspirer.
J’ai commencé à « rechercher » des Français au Japon seulement à partir de mai-juin 2011 parce qu’après le 11 mars, je me sentais un peu seule et ai ressenti le besoin de parler à d’autres expatries. Je me suis inscrite sur Twitter et cherche d’autres expatrié pour voir ou ils en étaient et comment ils vivaient la situation. Et la Twittosphère est ce qu’elle est, avec son lot de Captain Obvious horripilants, d’accrochages ridicules et de blasés de la vie (dont je fais partie), mais il y a quand même un minimum d’entraide. D’ailleurs si aujourd’hui, j’ai la chance de travailler en freelance dans la traduction et autres pour arrondir mes fins de mois depuis un an et demi, c’est parce qu’on me suivait sur Twitter et sur ce blog ; sans compter toutes les fois ou des expatriés inconnus m’ont proposé de faire tourner mon cv quand j’ai eu des moments de galère par la suite. Ça n’a pas toujours abouti sur quelque chose, mais c’est toujours des possibilités supplémentaires.
Mais avant le début de l’été 2011, pendant un an et demi, je n’ai eu strictement aucun contact français. Et c’est un peu dommage, j’aurais surement mieux ciblé mes recherches ou connu d’autres façon de chercher/me faire connaitre.
Finalement j’en vois pas mal qui, quand ils arrivent ici, trouvent leur premier job ou baito via la présentation d’un ami.
Bref, je ne parle pas forcément que de Français d’ailleurs. Ce que je veux dire c’est que travailler a se créer un réseau de connaissances est très important et c’est quelque chose que je n’ai absolument pas fait alors que « j’avais le temps ».
Je suis restée dans le cercle relativement restreint de l’école et de mes quelques amis, et je pense aujourd’hui que c’était une erreur.
Donc voila, si j’avais un premier conseil a vous donner, ce serait celui-là. Bien qu’il soit somme-toute évident, on peut comme moi se laisser entraîner par la vie quotidienne et négliger ce genre de choses et c’est dommage.
Ça ne veut pas dire que vous ne trouverez que par piston ou que vous devez gratter l’amitié a n’importe qui dans un but intéressé non plus, juste que connaitre beaucoup de monde est une façon d’augmenter les possibilités.
Donc pour cette recherche d’emploi, je me suis essentiellement laissée guider par les professeurs de mon école, qui bien qu’ils aient eu de très bons conseils, m’ont donné des conseils très japonais.
C’est-à-dire pas de candidatures spontanées et autres recherches d’annonces, mais la façon de chercher des 新卒 (shin-sotsu), soit les nouveaux diplômés.
En effet, au Japon, il existe un recrutement spécialisé de nouveaux diplômés. Chaque entreprise propose chaque année selon ses besoins un nombre de postes à pouvoir pour des jeunes diplômés sans expérience, et organise une fois par an un recrutement spécial pour cette nouvelle chair fraîche. Un système qui a ses bons et ses mauvais côtés.
Le principal bon côté étant que généralement, le nouveau diplômé japonais lambda ne connait pas le chômage. Il termine ses études début mars, il a trois semaines à un mois de vacances ou il va à l’étranger avec ses amis prendre des photos de sa bouffe ou de lui-même faisant le V de la victoire devant un monument. Puis une fois qu’il a profite une dernière fois de sa vie, il entre directement dans le monde de l’entreprise où il en chiera – ou dormira- jusqu’à ce qu’il soit assez pourvu de cheveux blancs et de rides pour avoir le droit d’avoir de nouveau une vie et remonter dans un bus touristique pour prendre des photos de la tour Eiffel.
Mais dans les mauvais côtés, on peut notamment citer le fait que les universités japonaises étant cotées, le Japonais lambda pense en général que sortir diplômé d’une université réputée suffira à lui faire trouver un bon travail. Donc ils se mettent une pression de fou furieux la dernière année du lycée pour réussir à passer les examens des bonnes universités et après ils ne glandent pas grand chose. À part un absentéisme conséquent ou un abus total, les Japonais ont peu de chance de se voir refuser leurs années de facs et comme dormir en cours est autorise… En gros, ça branle pas grand chose pendant les heures de classe (ne vous demandez plus pourquoi mon année d’échange universitaire a Osaka était si cool).
Et déjà qu’ils se tuaient pas trop à la tâche en première et deuxième année pour se reposer du stress de leur dernière année de lycée, dès la troisième année ils doivent commencer à faire les démarches de nouveaux diplômés pour trouver l’entreprise qui les emploiera a la fin de leurs quatre années de fac. Et comme ne pas trouver, c’est un peu la honte, de nouveau, ils se mettent la pression et se concentrent bien plus sur leurs séminaires et leurs entretiens que sur les cours à la fac. Et franchement, je me demande parfois s’ils sortent de l’université en ayant appris quelque chose de concret, ce que je trouve assez fantastique quand on sait qu’ils peuvent payer jusqu’à plus de 10 000 euros l’année pour leur éducation.
Ce qui explique peut-être pourquoi on m’a sorti il y a encore pas longtemps que le Brésil était en Afrique…
Le « shushoku-katsudo » (就職活動)
La période de recherche d’emploi des nouveaux diplômés s’appelle « shushoku-katsudo », parfois raccourci en « shukkatsu », parce que les Japonais aiment bien raccourcir leurs mots un peu trop long pour nous regarder chercher désespérément dans le dictionnaire, en vain.
Elle commence généralement un an et demi avant la fin des études c’est pourquoi en m’y prenant au mois de juillet et août pour avril 2011 j’étais largement en retard. Et cela pose problème dans le sens ou la plupart des entreprises a terminé le recrutement des nouveaux diplômés et ferme les candidatures. Pour postuler en dehors des « shin-sotsu », il faut avoir déjà une expérience en tant qu’employé dans le monde du travail.
Avant de vous y mettre, vous aurez besoin de votre cosplay de futur diplômé obligatoire : sac a main ou mallette noire, chaussures noires, costume noir sur chemise blanche.
Pas de coloration, pas de bijoux ou sac fantaisie, évidemment pas de tatouage visible, pas de maquillage a outrance.
Le but étant je crois de créer un groupe de clone sans âme et sans personnalité. Plus vous serez indissociable de votre voisin et mieux ce sera.
Je me souviens en 2011 d’une affiche pour un site destines à la recherche d’emploi pour les diplômés de 2013 qui avait fait polémique.
Avouez que tous ces jeunes gens dans la rue, le regard vitreux, les bras tendus en avant avec la démarche traînante feraient une bonne armée de zombies pour un film d’horreur.
Il y a trois principales façons de postuler :
1) En allant directement sur le site de l’entreprise qui vous intéresse.
Vous rêvez de travailler pour Sony, Nintendo ou Géant Vert parce que vous êtes fan de légumes surgelés depuis toujours ? Tout est possible. Il suffit de surveiller le site de la dite entreprise de vos rêves et une fois que le bouton « 新卒20XX »(année de l’obtention de votre diplôme), vous cliquez et vous postulez.
Si le bouton « shin-sotsu » annonce l’année suivante, c’est que vous arrivez après la bataille et que vous pouvez vous fourrer votre rêve de vendre des haricots surgelés la ou je pense. Si le bouton annonce l’année précédente a votre année de diplôme alors c’est qu’ils n’ont pas encore commence le recrutement de votre année et qu’il vous reste encore un peu de répit. Une fois que le bouton est en ligne, vous devrez remplir la fameuse « entry shit » (エントリーシート)avec votre profil, votre parcours en bref, voire quelques question de personnalité.
Ensuite, vous attendez qu’on vous contacte, généralement on vous invitera à participer a la réunion de présentation de l’entreprise (説明会 setsumei-kai), muni de votre cv (écrit a la main), ou s’ensuivra un premier entretien presque surprise.
Si vous passez cette étape alors vous serez convoque à l’entretien suivant. Notez que si une entreprise standard compte environ 3 entretiens, plus l’entreprise est grande et célèbre et plus le nombre d’entretien à passer est important. Pour des grosses entreprises comme Panasonic et consort, ça peut aller jusqu’à 7 ou 8.
Paie ta déception quand tu te fais remballer avec le sourire au 7ème entretien.
Voila pourquoi on s’y prend un an et demi à l’avance…
2) En passant par des sites spécialisés de « shushoku-katsudo ».
Ce sont des sites spécialisés dans la recherche d’emploi pour les jeunes diplômes et répertorient toutes les entreprises qui sont en plein recrutement. Comme le recrutement de chaque promo dure plus d’un an, ils se chevauchent, donc ces sites existent bien souvent en plusieurs versions selon les années.
Mettons que vous vous inscrivez a jobdemerdeaujapon.com, évitez de faire vos boulets en vous inscrivant a la version 2014 du site si vous serez diplômés en 2015.
Donc toujours bien vérifier l’année de « shin-sotsu » indiquée avant de postuler quelque part : candidater pour les nouveaux diplômés de 2015 alors que vous le serez en 2014 pourrait provoquer un discontinuum espace-temps entraînant la mort de nombreux Japonais torturés par la souffrance intolérable qu’est le non-suivi à la lettre de leurs règles. Ou bien vous faire passer à côté du job de vos rêves et d’une carrière de foufou d’agrafeuse de dossiers chez Toshiba.
Avouez que ce serait dommage.
Ce genre de sites ont de pratique que l’on rempli une fois une « entry shit » type a l’inscription, et qu’après il suffit de rechercher les entreprises qui nous intéressent et seulement cliquer sur « postuler » quand le cœur nous en dit.
Après, même système qu’en postulant directement sur le site d’une entreprise, on attend le mail de convocation a la réunion de présentation et la série d’entretiens qui s’en suit.
3) Aller a des forums de rencontres entre étudiants et entreprise.
Ce sont des gros événements, souvent sur plusieurs jours, ou des centaines (milliers ?) de clones se rendent dans des salles louées pour l’occasion ou s’étendent à perte de vue des stands d’entreprises. Vu d’ensemble, ça donne à peu près ça :
Les entreprises présentent en boucle leur activité et prennent le temps de discuter avec les candidats potentiels, prendre leur CV ou organiser un mini entretien.
A cette occasion le CV écrit a l’ordinateur n’est pas trop mal vu dans la mesure où ils savent qu’on risque d’en distribuer a la douzaine dans la journée, mais se démarquer avec des CV écrits a la main peut être un plus.
Ensuite, encore une fois, on attend d’être contacte par l’entreprise. L’avantage de ces forums étant, bien entendu, d’avoir l’occasion de rencontrer le personnel de l’entreprise et de leur parler personnellement avant même de postuler.
Voila, vous êtes maintenant incollable sur le shushoku, et ça vous fait bien entendu une belle jambe.
Mais peut-être pourrez-vous un jour briller en société en étalant votre culture grâce à moi.
Mes galères
Il existe ce genre de forum pour tous les étudiants étrangers au Japon, pas autant que pour les Japonais, mais sur Tokyo il y en avait bien un par mois au moins. J’étais abonnée aux listes de diffusions qui me prévenaient à l’ avance de quand auraient lieu les prochains. Il existe quelques variantes des sites de recherches, mais je dois avouer que pour ces derniers, ils n’étaient pas forcement bien mis à jour.
Enfin, pour ce qui est de candidater directement via le site des entreprises, comme je vous l’ai dit, je m’y suis prise « seulement » neuf mois à l’avance et c’était trop tard, les trois-quarts des sites annonçaient que le recrutement était fermé.
Les étudiants asiatiques au Japon étant très nombreux, ils procèdent généralement à la manière japonaise avec les services de shushoku destinés aux étrangers. Et comme dans mon école de japonais il y avait 99% d’Asiatiques (je devais être le pour-cent restant), c’est tout naturellement que mes professeurs m’ont conseillée de procéder de la sorte.
Ce qui fut à la fois une bonne et une mauvaise chose.
Une mauvaise dans le sens ou évidemment la plupart des entreprises proposées s’adressaient à des Chinois ou des Coréens, donc que je faisais un peu tache au milieu.
Une bonne parce qu’il y avait extrêmement peu d’occidentaux, et pour peu qu’une entreprise cherche des Européens, ma présence faisait toujours mouche.
J’ai eu plusieurs occasions, mais je n’en retiendrai que deux pour ce billet qui s’annonce encore immense.
La première, pour une entreprise de recyclage de cartouche d’imprimante. (Je vous sens passionnés par l’intitulé)
Bon, ok, ça n’a pas l’air bien passionnant comme ça, mais le côté recyclage, éco, tout ça, ça parlait bien à mon profil d’écolo qui s’ignore. L’entreprise allait s’implanter en France l’année suivante et me trouver sur leur chemin dans ce forum fourmillant de Chinois leur semblait providentiel, ils avaient besoin de quelqu’un pour les aider à lancer leur filiale. Je passe un premier entretien, tout se passe bien. On m’appelle pour un deuxième, tout se passe bien. On m’appelle pour un dernier, au siège social, situé à 250 bornes de Tokyo, au milieu des rizières et des montagnes. On me précise qu’aucun transport ne va jusque là-bas et que je devrais prendre le taxi pour faire les 15-20 minutes en voiture qui séparent l’entreprise de la gare la plus proche (tout cela à mes frais bien sûr). On en profite aussi pour me dire qu’on me montrera les résidences de l’entreprise, où j’habiterai une fois la procédure d’embauche terminée.
Hein ?
En effet, la première année, je devrais quitter Tokyo pour aller vivre sur le lieu de l’usine, dans une résidence de fonction. À partir de la deuxième année, soit je resterais sur place, soit on m’enverrait dans sur un autre de leur site… mais sans savoir lequel. Ça pouvait être Tokyo, comme Osaka, comme Sapporo.
Tout de suite, ça sonne vachement moins fun quand même le recyclage de cartouches d’imprimante… Déjà qu’à la base ça ne me donnait pas spécialement de palpitations… Je viens de passer un an à construire une vie sur Tokyo, même si financièrement ça pouvait s’avérer intéressant, je n’avais pas envie de finir dans le dortoir d’une usine dans le trou du cul du Japon, surtout pour ne pas savoir où j’allais terminer ensuite. Alors bêtise ou non, j’ai préféré retirer ma candidature.
Notez toutefois que le recrutement en shin-sotsu n’embauche que des étudiants sans expériences. L’entreprise s’engage donc à former ses nouvelles recrues la première année et devoir partir six mois à un an en « étude » dans une autre ville n’est absolument pas rare. Ce n’est pas parce que vous postulez sur Tokyo que vous resterez sur Tokyo. Si l’entreprise mère est sur Fukuoka, vous avez toutes vos chances de devoir aller vous installer là-bas pour quelques mois pour votre formation. Alors je cherche peut-être des excuses, mais je trouve que ce genre d’aller-retour dans tout le pays sont quand même plus faciles à gérer pour un Japonais que pour un étranger.
Aussi, renseignez vous bien avant de postuler quelque part, si la boîte possède plusieurs bureaux dans le pays, vous n’êtes pas du tout sûr de finir dans la ville que vous vouliez.
Au même titre, même si vous pouvez exprimer vos désirs et être exaucé, ce sont eux qui décident dans quel service ils vont vous mettre. J’avais aussi passé des entretiens avec la grande entreprise Suntory. Eux, non seulement on ne choisissait ni la ville ni le service, mais en plus les étrangers ne se voyaient pas forcément placés aux services internationaux (pour que le Japonais qui parle anglais comme une vache espagnole puisse trembler à chaque nouvel e-mail langue de Shakespeare pendant que toi, tu pleures devant tes rapports de 30 pages à écrire en Japonais), et cerise sur le gâteau, ils nous ont dits qu’ils prévoyaient de nous faire changer de service tous les deux ans, pour que l’on soit polyvalent.
Ça peut avoir un aspect attractif et je suis pour la polyvalence (mon statut dans mon entreprise actuelle est même assez confus tant je fais de choses) mais… changer de job indéfiniment fait aussi de vous un éternel débutant qui a tout à apprendre de ses collègues Japonais, non ? Enfin je ne sais pas, ce système ne m’a pas bien convaincue non plus.
Donc voilà, j’ai fait ma princesse et finit par refuser les cartouches recyclables. Snif, je suis sure que vous raconter mes journées vous aurait transporté.
La deuxième expérience que je vais mentionner est une autre entreprise qui travaillait dans le milieu otaku. Ils publiaient des mangas et organisaient des événements de fans dans tout le Japon et un peu en Europe dont principalement en France. Je me souviens que j’étais particulièrement dépitée ce jour-là, car le public ciblé était essentiellement chinois, et les autres, on tournait un peu en rond comme des âmes en peine au milieu des stands.
Je lisais le catalogue des entreprises présentes en cherchant désespérément « anglais » ou – grande rêveuse – « français » dans les compétences demandées et Oh ! Miracle ! Je trouve cette entreprise avec marqué « Français natif » demandé. Je suis sans aucun doute la seule française de tout ce bourbier en costume noir à chemise blanche, j’ai donc le cœur qui bat à cent à l’heure. Sur le prospectus de l’entreprise joint au catalogue, il y a les personnages de leurs mangas devant une Tour Eiffel. Notre symbole national me fait chaud au cœur, je n’ai peut-être pas perdu ma journée.
Et manifestement… Je n’étais pas la seule à me demander si je n’avais pas perdu ma journée dans ce piège à Chinois, car le personnel de l’entreprise semble s’emmerder sévère sur leur stand. Ils avaient très certainement aussi peu d’espoir de trouver un Français ici que moi de trouver quelqu’un qui en recrute.
Et là c’est la rencontre du destin. Nous nous regardons, d’abord surpris, puis avec amour. Un halo de lumière nous enveloppe, une musique romantique flotte dans l’air… nous nous sommes trouvés.
La rencontre du destin. Mon cv est accueilli comme le Graal, le président de l’entreprise (c’est rare que le patron lui-même se déplace pour les forums) me prend en entretien direct.
Cela fait bien 6 ou 7 ans que je ne lis plus de manga, mais je ne suis pas réfractaire pour autant. J’ai conscience que ce job consisterait à être en contact permanent avec des otaku que ce soit Japonais ou étrangers (et les deux sont flippant), mais ça ne me rebute pas spécialement. Je m’en pense capable… Je suis forte. Surtout que le contenu du job me parle complètement.
Il suffisait juste de faire vivre la version française de leur site, le corriger, en faire les bannières, faire vivre les communautés de fans et organiser les événements en France. Pour ça, deux à trois retours en France par an aux frais de la Princesse notamment pour la Japan Expo et le Mang’Azur. Des événements que je n’apprécie pas forcément, mais si ça peut me donner l’occasion de rentrer chez moi plusieurs fois par an, franchement je prends. En plus, ça a une petite touche d’événementiel, soit exactement ce que je voulais faire.
Ce premier entretien se passe donc très bien et je suis vite conviée pour les suivants qui se passent tout aussi bien. Je passe leurs tests de personnalité et questionnaires, je repasse une dernière fois devant tout le monde. On commence à me demander quand je pourrais commencer, si c’était possible avant mars 2011 ou si je devais vraiment finir l’école. Bref, tout semble aller comme sur des roulettes, je suis au top de ma vie. Je pense avoir trouvé cinq mois avant l’expiration de mon visa, j’ai tout mon temps pour profiter de l’école et ne plus me prendre la tête entre le baito et mon stage débile. Même s’il y a peu de suspense pour l’issue de ces entretiens, on me dit qu’on me contactera sous quinze jours pour me donner une réponse définitive, fixer le salaire et signer. Je rentre le cœur en fête et dépose une caméra de sécurité donnant sur les allées et venues du facteur.
Un jour, deux jours, une semaine, dix jours, quinze jours… Rien. Chaque soir en rentrant, je fouille les prospectus et courriers reçus, chaque soir que nenni. Ils ont pris un service français pour l’envoyer ou quoi ?
Je ne sais pas trop quoi faire, donc dans le doute, j’attends quelques jours de plus. Rien.
Je leur téléphone donc et explique le problème. Au fur et à mesure que j’explique la situation, la personne au bout du fil me parait nerveuse, je la sens chercher, patouiller sur son bureau pour m’annoncer finalement « Mais vous avez été prise. Nous vous avons envoyé un courrier juste après votre entretien pour vous convoquer afin de fixer votre salaire et signer, mais vous n’avez jamais répondu et n’êtes jamais venue. Nous avons donc classé votre candidature et pris quelqu’un d’autre ».
QUOI ??????????????
Je suis soufflée. Je n’ai jamais rien reçu ! Et vu mon côté obsessionnel, je sais qu’il n’y a aucune erreur possible, j’ai disséqué ma boîte aux lettres tous les soirs plus que minutieusement et ils avaient ma bonne adresse puisque j’avais reçu les courriers précédents.
Et m’annoncer comme si c’était rien que du coup, ils m’ont jetée sans même essayer de me téléphoner pour vérifier, qu’ils ont pris quelqu’un d’autre alors qu’ils n’avaient personne d’autre sous la main, que… que que !! MORUE !!!
Je n’abandonne pas, je ne peux quand même pas laisser ce job filer pour une raison aussi stupide ! Elle me dit qu’elle ne peut rien faire, qu’elle va contacter la personne chargée du recrutement et que cette dernière me recontactera pour parler avec moi. Je dis d’accord et raccroche. J’attends. La soirée, le lendemain, le surlendemain. Aucun coup de fil.
Je laisse passer le week-end puis rappelle. Je demande directement à parler à la personne concernée sans préciser l’objet de mon appel et là… la personne chargée du recrutement me dit qu’on ne lui a jamais passé le message ! Qu’elle ne savait pas du tout que j’avais appelé et que je n’avais jamais reçu le courrier. Franchement, je ne comprends plus rien.
La petite dame est bien gentille, mais bon il s’est passé un mois depuis mon dernier entretien et la fin du recrutement, et oui, ils ont bien fini par embaucher un repêché de dernière minute. Le petit chanceux qui profite de ma propre malchance… Les quotas de shin-sotsu sont remplis et bon en gros, allez-vous faire foutre ma brave dame. Bien bien …
Quand j’en ai parlé, mon professeur principal a soupçonné la secrétaire chargée d’envoyer les courriers d’avoir fait une bourde. Il est très rare que la poste japonaise se trompe, ils ne m’ont jamais téléphoné ni rien pour savoir pourquoi j’avais disparu et elle n’a jamais transmis le message à la personne chargée du recrutement. C’est possible… Quoiqu’il en soit, je l’avais dans l’os et perdu trois mois d’histoire.
Conclusion : Même les rencontres du destin peuvent se terminer en eau de boudin. (règle applicable à mes chapitres sur la drague de l’homme japonais).
Evidemment je n’ai pas été assez bête pour ne chercher qu’à la japonaise. Je me suis aussi inscrite sur les sections emplois de la chambre de commerce française à Tokyo et autres, répondu à des annonces trouvées sur les sites destinés aux étrangers, et contacté quelques entreprises dont le recrutement des shin-sotsu était en retard et pas encore terminé.
Dans ce dernier cas, on m’a quand même souvent fait venir en entretien pour rien. On me fait venir pour me dire à la fin qu’ils n’ont pas besoin de francophone et cherchent un nord-américain, mais n’avaient jamais eu de Français dans leurs candidatures donc avaient été curieux de me voir en entretien…
Je t’en foutrais de la curiosité moi.
Il y a eu aussi les entreprises qui me font passer les entretiens, me demandent de rester au Japon pendant les fêtes de fin d’année parce qu’ils auraient éventuellement besoin de moi, puis finalement après m’avoir laissé sans nouvelles pendant les dites fêtes, m’annoncent que finalement ils ont trouvé un homme, qui serait plus approprié qu’une femme pour ce genre de travail (en quoi la traduction est-elle préférable pour un HOMME ?????).
Bref… Autant d’entreprises bidons dont je pourrais être soulagée d’être épargnée… mais qui me font enchaîner fausses joies et perte de temps. Et puis évidemment les échecs standards soit parce que je ne corresponds pas au profil recherché, soit parce qu’il y a meilleur que moi, soit parce que je n’ai pas convaincu. Sans parler des petites entreprises, souvent promptes a engager des étrangers en espérant se lancer sur le marché international, mais qui parfois, mal renseignées sur les procédures, restent assez frileuses sur le sujet du visa et vous laissent tomber comme une chaussette de Gilles quand vous leur annoncez que le vôtre expire bientôt.
Les mois passent, et je désespère.
3) D.
On est en janvier, cela fait des mois que je bosse 14h par jour et enchaîne les week-ends sur des forums, séminaires et écriture de CV et rédactions pour candidature, je suis tellement stressée que je ne dors pas plus de trois heures par nuit, j’ai chopé la grippe qui m’a mise out pendant tout le break de fin d’année que j’ai passé mourante dans mon lit (tout hôpital fermé…), j’ai une tête de déterrée… C’est d’ailleurs le moment que choisi l’Asahi TV pour m’interviewer dans un énième forum, à peu près tous les gens que je connaissais ont eu l’occasion d’admirer ma tronche de cadavre au petit-déjeuner, on m’en parlait encore trois mois plus tard. Super.
Le recrutement des shin-sotsu est pour ainsi dire terminé, je ne trouve pas de petites annonces pouvant correspondre… Je suis au bout du rouleau. Mon visa expire dans deux mois et à part PQFlex et son grand n’importe quoi, je n’ai absolument aucune ouverture nulle part.
Est-ce que j’ai un mauvais profil ou c’est juste une succession de mauvais timings ?
Je perds confiance. On me dit que comme l’année scolaire/fiscale commence en avril, les départs en mars sont fréquents et donc les démissions nombreuses en février qui est une bonne période pour postuler. Je décide donc de puiser dans mes dernières ressources jusqu’à la fin du mois de février, mais que si d’ici là je n’ai toujours rien, alors je rends les armes et rentre la queue entre les jambes en France en grande perdante… J’aurai fait un prêt conséquent pour payer mes 15 mois d’école et investit toute mon énergie, pour rien.
L’idée est intolérable donc je continue à chercher. Je trouve un nouveau job pour un établissement franco-japonais qui m’irait parfaitement… mais ils sont frileux pour la sponsorisation du visa. Ils préfèrent me faire travailler en baito six mois comme période d’essai pour être sûrs que je conviens et enchaîner sur un vrai contrat. Mon visa expire bien avant, ce n’est pas possible : je suis remerciée et on est déjà au mois de février.
Je commence à me dire que c’est mort. Chaque candidature prend du temps entre les réponses des entreprises, les réponses d’après-entretiens voire deuxième entretien. Je déprime complètement.
Une amie décide de me changer les idées et d’organiser un petit repas entre filles et me présenter d’autres personnes. Étant donné que je viens de passer les huit derniers mois sans amis et sans trop sortir, j’accepte, je suis mentalement un peu au bout. Lors de cette soirée, elle me présente une de ses vieilles amies qui rentre de New York, qui est maquilleuse professionnelle. Elle maquille les artistes et les modèles avant un show ou une séance photo. Elle me dit qu’elle a déjà maquillé miyavi et me raconte un peu son métier et les anecdotes du monde du spectacle. Elle est impressionnante et passionnante. Elle me demande ce que je fais dans la vie et je lui annonce que je m’apprête à être renvoyée chez moi en charter, faute d’être capable de trouver un travail. Je lui raconte en gros ma longue série d’échec dans la recherche d’un travail, que mon seul espoir réside dans une entreprise pas très sérieuse où je fais mon stage, mais que je ne leur fais pas bien confiance.
Et là, elle m’annonce qu’avant de travailler à son compte en tant que make-up artist, elle travaillait en tant qu’employée chez D. ; une célèbre et prestigieuse marque française. Comme ça parle d’expérience au boulot, je m’abstiens d’écrire le nom de la marque, mais je ne m’échine pas non plus à trouver un surnom avec un jeu de mot bidon puisque si vous avez lu un minimum l’actualité en début 2011, vous saurez directement où c’était, donc bon.
Bref, elle me dit qu’elle n’y travaille plus, mais qu’elle y a travaillé plusieurs années comme maquilleuse avant chaque défilé de mode et autre événement de la marque, donc qu’elle était très souvent en relations avec le service des Relations Publiques de l’entreprise. La manager du service était relativement influente, avait besoin d’une francophone et surtout d’une personne supplémentaire, car elles n’étaient que quatre femmes pour couvrir tous les événements et relations médias sur tout le Japon. Comme elle n’y travaille plus elle ne peut pas me présenter elle-même, mais qu’elle peut me donner le mail de la manager pour que je lui envoie mon CV de sa part et tente une candidature spontanée. Elle me parle longuement de l’entreprise et du service, me vend du rêve toute la soirée à coup de paillettes et mascara (je suis faible).
Entrer dans une aussi grande entreprise quand je viens de me faire refouler par tout le Japon pendant 8 mois me parait un peu inespéré, mais je ne jette pas cette petite opportunité. Je récris un CV exprès, une lettre de motivation en japonais ainsi qu’un mail de présentation et envoie.
Deux jours plus tard, je reçois une réponse me disant qu’elle avait trouvé mon profil très intéressant et souhaite me rencontrer pour un entretien.
… !
Le mail précise qu’elle est très occupée à cause de la sortie imminente d’une nouvelle gamme de maquillage donc qu’elle ne peut pas me recevoir dans la journée, mais qu’elle peut me recevoir pendant sa pause déjeuner entre 12h et 13h ! Je suis flattée qu’elle m’accorde sa pause et m’empresse de confirmer.
Elle me donne rendez-vous quelques jours plus tard à midi devant la gare la plus proche de D. Comme c’est un entretien hors du cursus « shin-sotsu » qui plus est pour un job dans le monde de la mode, on me dit de ne pas y aller en costume de clone, mais d’acheter un costume élégant. Je vais donc me ruiner dans un beau costume gris clair pour l’occasion et suis à 12h tapantes devant la sortie de la gare.
Sans l’avoir jamais vu, j’aurais pu la reconnaître à dix kilomètres, de dos, la nuit et dans le brouillard. Avec son tailleur de marque blanc, son bronzage aux UV, son maquillage parfait, son sac à main qui coûte les deux bras et les deux jambes et son petit chapeau, elle sortait tout droit de l’Upper East Side. Peut-être était-elle la vraie mère d’Olivia Waldorf. Tiens, ben bonne idée, on va l’appeler Mme Waldorf, tant qu’à faire.
Je suis tendue comme un string coincé dans les fesses de Beyoncé, mais j’essaie de me montrer souriante. Elle me salue et me propose de faire l’entretien dans un restaurant, qu’il existe justement une brasserie française excellente dans le quartier. Oui, si tu veux, ça change des stands en carton des forums.
On discute de tout et de rien sur le chemin, elle semble gentille mais je sens la femme d’affaires qui gît sous les apparences. On arrive au restaurant, on s’installe et elle me dit « Alors, où travaillez-vous en ce moment ? ».
Bon, la question me prend un peu au dépourvu puisque tout était écrit dans mon CV, mais je réponds docilement en utilisant des mots pompeux et intelligents pour décrire mes tâches débiles de stagiaire à PQFlex.
« Mais… Vous êtes en stage ?
– Oui, le reste du temps je suis à l’école où je termine ma formation dans un mois et je fais un baito pour les frais de la vie quotidienne.
– Vous êtes étudiante ?
– Oui.
– Mais vous avez travaillé en France ?
– J’étais étudiante aussi, j’ai terminé mon master puis suis revenue étudier ici.
Déjà que je me sens flouée qu’elle m’ait convoquée alors qu’elle n’avait même pas lu mon CV, elle me donne le coup de grâce : « Mais il m’est impossible d’embaucher quelqu’un qui n’a aucune expérience en dehors des shin-sotsu et le recrutement pour 2011 est terminé, nous avons notre quota, tout est bouclé. Je suis désolée, mais si vous n’avez jamais travaillé, je ne peux rien faire pour vous, c’est sûr ».
Et voilà… l’entretien se termine avant même d’avoir commencé. Dans ma tête, c’est le blanc total. Et Mme Waldorf me sourit à pleine bouche avant de croquer dans son pain frais sans même s’imaginer une seule seconde qu’elle vient de briser ce que je pensais être mon ultime espoir et que le sol est en train de se dérober sous mes pieds pour m’entraîner dans un monde Infernal de sans-papiers.
Non, Mme Waldorf a faim, Mme Waldorf a envie de me parler de ses voyages en France, des beaux musées et du jardin des Tuileries. Evidemment, je respecte notre patrimoine, mais là tout de suite, les histoires d’une pelouse à 10 000km, je m’en fous. Mais j’écoute poliment, j’acquiesce et j’essaie de remplir le vide intersidéral dans ma tête qui vient d’effacer deux semaines de préparation à cet entretien pour D. Elle me raconte aussi qu’ils ont souvent besoin de parler avec la maison mère de l’entreprise pour adapter leurs événements à ceux qui ont lieu en avant-première à Paris, mais qu’après toutes ces années de carrière, elle ne parle toujours pas français. Elle me demande si je pourrais de temps à autres passer en fin de journée lui donner quelques cours.
Mme Waldorf ne manque certainement pas d’air. Mais je suis fatiguée de tout ça, de tous ces mois perdus. Ceci n’est pas un entretien et ne l’a jamais été, je suis juste une distraction de la pause de midi. Alors comme je suis fatiguée, que de toute façon je suis là et qu’on en est qu’à l’entrée, je décide de jouer le jeu tant apprécié des Japonais des faux-semblants et lui répond avec plaisir que je viendrais perdre mon peu de temps libre pour lui enseigner gracieusement comment dire « Bonjour », « Au revoir » et « Combien coûte ce sac s’il-vous-plaît ? ».
Et puis sous ses airs de femme sans problème qui se soucie absolument pas de ceux des autres, elle reste sympathique et agréable. Je décide donc de mettre ma déception de côté et prendre ce restaurant comme une simple sortie avec quelqu’un dont je fais la connaissance. Je lui parle comme à une amie de moi, de ce que j’aime, de mes envies. Elle me demande pourquoi j’ai postulé chez D. Je lui réponds en toute sincérité que c’est suite à une conversation. Je suis un minimum féminine, j’aime le maquillage et les parfums, travailler pour une marque aussi prestigieuse donne évidemment envie. Donc c’est une perche qui ne se refuse pas, d’autant plus quand on est aussi pressé par le temps pour trouver un travail. Après foutu pour foutu, je lui avoue franchement que je ne suis pas non plus une fashion addict, que je connaissais peu les produits avant d’avoir préparé l’entretien, que je n’achète jamais de marques et que la seule fois où j’ai acheté un produit D. c’était pour un cadeau de Noël pour ma maman. Donc que si l’idée était alléchante et l’expérience intéressante, travailler pour D. n’était pas le rêve de ma vie. Que moi j’avais toujours voulu travailler dans l’événementiel, le monde de la musique, l’organisation de concert, la promo d’artistes tout ça. Que je l’ai déjà fait en tant qu’amateur en France et à Osaka et que c’était ce qui me faisait rêver. Après j’ai évidemment postulé au Japon aux boites que j’ai trouvé, mais ça n’a rien donné.
Elle m’écoute attentivement puis me dis « Tu sais on a un événement à la fin de ce mois pour la présentation de notre nouvelle gamme de produits. Ce n’est pas dans le monde de la musique, mais c’est la préparation d’un événement, c’est une partie de l’événementiel. On est un peu surmenées dernièrement et on n’aura surement jamais terminé les préparations à temps. Si j’ai besoin de toi tu accepterais en tant que baito de venir nous dépanner une journée ou deux ? ».
On vient dans l’espoir d’un CDI et un visa et on repart avec un intérim d’une journée… Evidemment, je suis déçue car je commence à comprendre que c’est soit PQFlex soit le retour en France, mais j’accepte avec plaisir. Pour l’expérience, par curiosité de voir d’autres murs que ceux de PQFlex, pour avoir un blog inutilement long de plus à écrire.
Elle me convoque donc une première journée dans la même semaine. Non-contente de faire un pied de nez à PQFlex pour être payée plus du double ailleurs de l’heure, je me rends chez D. le cœur vaillant juste après les cours.
Et là, j’ai passé huit heures d’enfer.
Oh, j’ai bien été reçue, là n’est pas le problème. J’avais même un petit bureau de fortune au milieu du petit service des relations publiques, a cote de Mme Waldorf et ses sous fifres. Mais évidemment, avec un petit job d’intérim comme ca il ne fallait pas s’attendre a des taches autres qu’ingrates ou fastidieuses. Pour ma part ce fut le deuxième cas de figure. Il s’agissait de préparer les coordonnes de plus de 400 contacts pour que D. puisse envoyer les invitations à leur prochain événement présentant leur nouvelle gamme de produit. La majorité des invites étant des journalistes, j’avais un fichier excel avec des centaines et des centaines de noms, le nom du magazine ou ils travaillaient et ensuite les colonnes « service », « adresse », « numéro de téléphone », « email » etc. a remplir.
Et pour retrouver les coordonnées de tous ces braves gens, des tiroirs et des tiroirs de cartes de visites accumulées pendant des années lors de rencontres entre les employés de D. et les médias. Les cartes de visites s’entassaient par piles dans les tiroirs de divers bureaux, évidemment sans aucune logique de tri ou de rangement. Un bourbier de cartes. En notant que dans ces cartes, il y avait aussi de nombreux doublons, des cartes dont je n’avais pas besoin et au contraire des cartes manquantes. Je commence ligne par ligne mais a chaque nouveau nom dans la liste, je dois fouiller ces centaines de cartes une par une et perds un temps fou, je n’aurai jamais les 400 coordonnées retrouvées et tapées dans le fichier d’ici la fin de la journée. Je trouve quand même fantastique qu’ils aient surement religieusement des invitations a envoyer avec tous les événements qu’ils font dans l’année et n’ont pas ete fichu une seule fois de créer un répertoire ou ranger leurs cartes. Je sais que je n’arriverai jamais a tout finir et décide donc de laisser de côté le fichier excel pour l’instant et passe deux-trois heures à ranger les centaines de cartes. Par magazine : une pile Vogue, une pile Grazia, une pile Dorothée Magazine (…). Puis par service.
C’est déjà le milieu de la journée quand j’ai enfin tout trié leur fatra, et je dois avoir trois pauvres noms remplis dans mon fichier excel, il est temps de m’activer.
Mme Waldorf en profite pour aller au restaurant avec sous-fifre 1, 2 et 3 et me laisse toute seule dans le service. Et la, je carbure. Je fais les magazines et les services un par un et rempli toutes les coordonnées, sauf qu’encore une fois c’est un vrai travail de Peneloppe. Les joies des noms propres japonais étant ce qu’elles sont, je ne sais pas toujours comment lire les adresses et n’arrivent pas a taper certaines d’entre elles… Je dois aller chercher sur le net le code postal correspondant pour retrouver l’adresse. Bref, s’il y avait eu un 13eme travail d’Hercules, je pense que cela aurait ete de trouver les 400 coordonnées des invités de la prochaine party de D.
Notons que pendant mon supplice, je me suis accorde un petit détour par les toilettes. Et si j’avais remarqué que chaque employée de D. possédait toute la gamme de parfum sur son bureau et n’avait qu’a choisir lequel mettre pour aller faire sa photocopie à côté de Jean-Ryô de la compta, c’était de même pour les toilettes. En effet, pas de désodorisant et autre spray pour couvrir vos excès de chilli con carne et les problèmes intestinaux qui s’en suivent, mais les plus grandes fragrances de la marque. Ainsi, mesdames de D. couvrent l’odeur de leurs étrons avec un parfum hors de prix pour lequel vous cassez la tirelire a Noel.
A se demander si elles se parfument avec du Briz fraîcheur lavande en compensation.
Bref, je passe 8h d’affilée sans pauses sur ce pauvre fichier, et le boucle enfin. Il me manque une dizaine de nom faute de cartes et d’échange d’email mais le reste est niquel. Mme Waldorf semble contente, sa liste est prête et son bordel de carte est trie avec intercalaires et tout le bordel. Elle signe mon papier de travail pour valider ma journée et que D. me paye, et passe 21h, je rentre chez moi.
Je me couche en ayant les kanji de noms propres qui flottent sous les paupières.
Puis je n’ai plus de nouvelles pendant au moins deux semaines. Je me dis que c’était juste un petit épisode de ma vie, je l’ai depannee et voila. A ce moment la PQFlex ne s’est toujours pas décidé a me faire signer quoi que ce soit malgré que ça ait l’air d’avancer et ils n’ont toujours rien fait pour une demande de visa alors que le mien expire dans quatre semaines. Je m’apprête a faire mes cartons et rentrer en bonne perdante au bercail familiale. Ou de me faire seppuku au grand carrefour de Shibuya pour laver ma honte d’avoir échoué mon rêve de m’installer ici.
Mais contre toute attente, Mme Waldorf me rappelle car elle a encore besoin de moi. J’ai même reçu des appels de sous-fifre 1 au milieu de la nuit avec un message me sommant de les rappeler au plus vite. D. semble en panique. En effet, le vendredi a lieu le fameux événement et il était prévu qu’ils envoient des le lendemain par la poste un paquet aux invites en remerciements. Seulement à cause d’un contre-temps, les paquets ne sont pas prêts et elle a absolument besoin que je vienne donner un coup de main toute la journée du lendemain. Heu… Oui, mais j’ai cours et boulot ? Le ton ne souffre aucune concession, je dois être sur place avant 11h. Je demande donc à sortir plus tôt des cours et m’invente une grippe A pour le baito et cours chez D ou j’arrive a 10h30.
Le service des relations publiques croule sous des dizaines de cartons, c’est un bordel monstre. Tout le monde est sur son 31, a 11h tout le monde décolle pour se rendre sur les lieux de la conférences de presse, on a sorti les robes improbables et les perles.
Mme Waldorf sue sous son fond de teint tout en m’expliquant ma tâche. Ils ont prévu d’envoyer le catalogue de la nouvelle saison de D. a tous les invites présents aujourd’hui ainsi que quelques cadeaux. Mais il y a eu un changement de programme et je dois… arracher des pages du catalogue ! Du propre !
Elle me montre les pages en question et ne m’explique pas la raison mais je la comprend tout de suite. En photo ou en interview apparaît le grand directeur artistique de D. Il est au cœur d’un scandale international pour avoir – complètement bourré – proféré des insultes antisémites dans un bar. La maison mère de D. a donc décidé de foutre à la porte son grand créateur sans attendre son reste…
Et des insultes antisémites c’est pas bon pour l’image, alors… on arrache le dit monsieur du catalogue.
Je m’abstiens de tout commentaire, mais je trouve la démarche pas terrible. Je devais arracher les pages seulement ou il était en photo et ou son nom était cité comme le créateur, mais aucune des autres pages montrant ses créations. En gros on s’approprie un travail mais on dit surtout pas d’où il vient.
En compensation de ce catalogue estropie, Mme Waldorf a préparé une série d’échantillons, de cartes postales et de coupons a glisser dans le catalogue. Puis je dois insérer le tout dans une grande enveloppe, puis dans une nouvelle enveloppe en plastique très fine et enfin… ECRIRE les bordereaux de la poste de CHAQUE CONTACT pour les coller sur l’enveloppe.
Je regarde tous les cartons dans le service et me dis que je ne vais pas chômer. Jusqu’à ce qu’elle m’emmène dans une réserve de D. ou m’attendent plus du triple des cartons.
Je me décompose…
« Comme on doit envoyer tout cela demain matin, tu as jusqu’à ce soir ».
Et Mme Waldorf s’en va après s’être repomponnée et monte dans son taxi. Sous-fifre 1 décide m’achever en me disant qu’il y aura surement de nombreux coups de téléphone d’invites qui ne trouvent pas la salle et autre, et que je devrai donc répondre a tout ce petit monde. Elle m’a fait un mémo de réponses selon les questions susceptibles qu’on me pose etc.
À 11h, tout le monde s’en va et me laisse avec mes dizaines de cartons a de catalogues a déchirer, de cartes postales, de coupons et autres.
Je suis quasiment toute seule dans l’open space de D. J’essaie de m’organiser pour aller le plus vite possible. Je fais un travail à la chaine… en étant le seul et unique maillon. L’air de rien, rien que déchirer les 4 pages de chaque catalogue est fastidieux, car le catalogue est gros et que les 4 pages ne se suivent pas, je dois donc les rechercher a chaque fois. Et il y a plus de 400 catalogues.
Puis refaire 400 fois les mêmes gestes. Mettre les coupons, mettre les cartes postales, mettre la lettre de remerciement, mettre dans une première enveloppe, glisser dans une deuxième enveloppe en plastique…écrire à la main les adresses… Ca, c’est le pire. Remplir tous ces bordereaux. J’en ai mal au poignet.
Je commence a maudire ce connard de créateur et sa moustache en pattes d’oie, je t’en foutrais des insultes antisémites ! Regarde un peu les sketchs de Dieudonnée ou ça l’a mené bon sang ! Pendant qu’il sifflait son whisky le regard incertain, est-ce qu’il pensait à la pauvre Française qui allait devoir arracher sa tronche du catalogue pendant toute une journée ?
Manifestement non, le monde de la mode est vraiment impitoyable.
Evidemment, le téléphone ne fait que de sonner et tout le monde n’est pas forcement bien aimable. C’est une journée importante pour tout le monde donc on y va de son petit coup de sang et tomber au téléphone sur quelqu’un qui n’a rien à voir avec D. et ne connait pas toutes les réponses et/ou noms des personnes qui y travaillent agace.
Et pendant que je m’invente des bras supplémentaires pour répondre au téléphone, écrire mes bordereaux, arracher les pages proprement et mettre dans des enveloppes, Mme Waldorf me téléphone. Elle a laisse sa robe pour la présentation au pressing et je dois aller la lui chercher dans les plus brefs délais, commander un service de livraison dans la journée et la faire livrer sur-le-champ.
…Et la je m’y vois. Je suis dans le Diable s’habille en Prada. Meryl Streep s’est fait brider les yeux et teindre en noir pour brouiller les pistes, mais c’est elle, je la reconnais. Bientôt elle va me demander de convaincre J.K. Rowling d’écrire la suite d’Harry Potter pour ses filles.
J’abandonne mon créateur alcoolo et cours donc au pressing et chercher un livreur. Je perds plus d’une heure. Sans parler des mille et uns coups de fil pour vérifier ou j’en suis. « Tu es au pressing ? », « Tu as la robe ? », « Le livreur est passé ? », « Il arrive a quel heure ? ».
Mme Waldorf reçoit sa robe a temps et m’appelle pour me dire qu’elle est contente, je suis soulagee. Elle me dit aussi que le champagne est bon et que si j’arrive a finir a temps, j’aurai peut-être le droit de venir les rejoindre prendre une coupe.
Merci mais j’en doute. Ce job, c’est comme remplir le tonneau des Danaïdes, ça n’a pas de fin. Surtout que j’essaie de faire des tas propres mais les enveloppes en plastique glissent et toutes mes tours s’effondrent. Plus j’essaie de ranger les paquets terminés et plus tout se casse la gueule, on dirait un mauvais film catastrophe avec ces fameuses scènes à la G.I Joe (oui, on m’a forcée à regarder ces daubes) où tous les monuments célèbres s’écroulent.
Mme Waldorf n’a pas prévu assez de lettres de remerciement et de cartes, je dois trouver des gens dans l’open space capables de m’en procurer d’autres. Et le téléphone qui n’arrête pas… Je dois répondre aux quatre téléphones de Mme Waldorf et ses 3 sous-fifres et souvent ils sonnent en même temps. Je reçois alors des appels énervés de sous fifre 1 sur mon téléphone personnel me demandant pourquoi je ne réponds pas et ignore les appels de l’entreprise, qu’elle m’a pourtant dis de répondre… !
Je suis lessivée.
Les heures passent, je n’en vois toujours pas le bout, je me trompe en écrivant certains bordereaux de la poste sous la fatigue, doit recommencer, perds du temps. A 23h, il n’y a quasiment plus personne chez D. Je suis toute seule dans un coin de l’open space a faire mes paquets. Au moins le téléphone ne sonne plus toutes les deux minutes, mais entre tous les appels, le pressing et autre j’ai perdu beaucoup de temps et n’ai pas fini mes paquet, il reste un ou deux cartons a faire.
A 23h30, j’ai un appel de Mme Waldorf depuis la fête post conférence de presse : « Mais tu es toujours au travail ? ». Je lui avoue piteusement que je n’ai pas fini.
Et me dit de rentrer chez moi avant qu’il n’y ait plus de train, que les sous-fifres viendront tôt demain matin pour terminer et tout envoyer.
Je suis mi-soulagée, mi-déçue car il reste une cinquantaine de paquet a faire. A trois elles n’en n’auront surement pas pour longtemps mais j’ai quand même failli a ma tache, je n’ai pas termine.
En plus comme avec les enveloppes plastiques les piles glissent et ne tiennent pas, c’est un bordel sans nom. Ca depasse des cartons et tombe de tous les cotes.
Comme plus personne n’est la, je laisse ma feuille de travail a signer sur le bureau de Mme Waldorf et apres pres de 14h de travail sans pause et sans manger, je rentre chez moi.
Oubli ou non, Mme Waldorf n’a jamais signe mon papier et je n’ai jamais été payée pour ces 14h de travail. J’ai attendu vainement mon virement mais rien. Comme j’avais laisse le travail inachevé je n’ai pas osé réclamer (oui je suis bête, aujourd’hui je le ferais).
Par contre, une semaine apres je recevais un email pour le moins inattendu.
« Travailler avec nous est tres stressant et difficile. Mais tu t’es bien débrouillé. Tu es sérieuse et travailleuse, tu as un profil intéressant et je trouvais dommage que tu n’aies toujours pas trouve de travail. J’ai eu envie de faire quelque chose pour toi et comme tu disais vouloir travailler dans événementiel, j’ai parle de toi et montre ton cv au directeur de l’entreprise qui organise tous nos show. Il a été très intéressé et aimerait travailler avec toi. Voici ses coordonnées, contacte-le au plus vite, il aimerait te rencontrer ».
Je suis estomaquée devant mon email.
Vraiment ? Et je trouverais maintenant, si facilement, comme ça, juste avant de partir et dans le domaine que je voulais ?
Je suis surprise, touchée et reconnaissante. J’ai galère mais pas pour rien.
J’ai donc contacte ce monsieur.
Comme je vous raconte tout cela deux ans plus tard, et que vous savez que je suis restée au Japon et ai travaillé dans événementiel, il n’y a pas de suspense. Je l’ai rencontré et il m’a embauchée.
Un miracle empoisonné vu tout ce qui m’est arrivé par la suite, mais un miracle quand même.
Comme quoi, dans la vie faut pas abandonner.
Quand on abandonne pas, les rêves se réalisent. Même si on comprend parfois après coup qu’on doit le payer bien bien cher.
Mais ça, c’est une autre histoire…