Vis ma vie de stagiaire : extended cut

Attention mes amis, l’article qui va suivre est une arnaque d’un niveau olympique. Je vous avais encore jamais fait ce coup-là, mais le blog qui va suivre… n’est pas de moi, BWAH HA HA HA.

En effet, ce n’était ni prévu ni calculé, mais après avoir revécu avec moi ce stage absurde chez PQFlex, mon compère et compatriote Etienne a eu envie d’écrire sa propre version et m’a demandé l’autorisation de publier son expérience ici.
J’ai trouve l’idée d’un blog croisé avec une vision des choses extérieure intéressante, d’autant plus que je m’étais autocensurée tant c’était long (je ne vous l’ai pas dit pour ne pas vous décourager – je suis fourbe – mais le billet précédent faisait 25 pages sous word…) donc ça vous permet d’avoir un peu de rab sur ce que je n’ai pas raconté.
A vrai dire il y a même des choses que je ne savais pas.
Et comme pour être honnête, il me paraît réellement compromis de trouver quelques heures pour vous écrire un pan de ma vie absolument passionnante, qu’on me propose de publier l’écrit de quelqu’un d’autre tombait franchement à pic : j’ai mon excuse toute faite pour vous rouler dans la farine.
En plus il dit du bien de moi, il n’y a donc aucune raison que je  rate une occasion de glorifier ma personne.

Mais comme je me sens un petit peu coupable et que j’aime bien la ramener quand même, j’ai décidé – avec l’accord d’Etienne – de ne pas publier son blog et basta, mais d’y ajouter mes commentaires et réactions.
Comme c’est un garçon je vais lui attribuer une autre couleur des plus viriles – du violet – et réaliser ainsi un fantasme de longue date : écrire avec les couleurs des rayures du chat de Cheshire.
C’est formidable, j’en ai des palpitations.

Enfin, pour ceux qui arrivent en cours de route, je vous propose de lire tout d’abord le billet précédent vous en aurez pour cinq minutes.
(…Hein ? Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire, de quoi parlez-vous ? Je n’ai jamais dis « 25 pages de longueur », n’inventez-pas !)

Coucou chers lecteurs.

Sonyan, la célèbre gérante de ce blogue (blogue étant l’orthographe officiellement reconnue par l’Académie française) a autorisé ma contribution sur le stage à PQFlex, comme si la longueur de l’article original ne vous avait pas permis de profiter de la complexité du sujet.
(Célèbre, célèbre, n’exagérons rien ! Je doute que beaucoup de mes lecteurs dorment avec un poster de moi en bikini au plafond pour me regarder en s’endormant -ils devraient- et mangent leurs chocapics dans un bol à mon effigie… Mais je ne désespère pas !)

Je ne sais pas qui lit ce blogue, et donc comment adapter mon récit. Je vais donc commencer par me décrire, car j’ai moi-même un rapport très complexe avec le Japon, peut-être plus qu’avec moi-même. J’ai été de ces chanceux qui ont pu étudier le japonais en tant que LV3 dans un lycée public (il y en a une grosse dizaine dans tous l’Hexagone), et après le bac, je me suis orienté dans un institut d’étudiants prétententieux, ou IEP. Comme c’est dans le cursus, j’avais décidé de passer ma troisième année dans une université partenaire de l’école, dans la grande banlieue ouest de Tokyo, pour mettre à l’épreuve mon japonais et enfin découvrir le Japon.

A vrai dire, je le pensais bon, mon japonais. Et il l’était, enfin comparé aux Américains obèses qui passaient leurs journées d’échange universitaire à se regrouper et jouer ensemble aux MMORPG. Je dois avouer que j’ai vraiment détesté mon expérience de séjour dans cette université. C’était une vraie campagne, le campus ayant été construit sur un ancien cimetière dans les collines pleines de verdures à l’ouest du Kantô, rien à faire à moins de 30 minutes à pieds et à plus de 5 euros l’aller direct vers Tokyo.

En bref, j’étais content lorsqu’un jour, un camarade de classe m’avait parlé de possibilités de stages à travers la plateforme d’un ami, « GL Navigation », soit le même service utilisé par Sonia. Rapidement, j’en avais parlé à un camarade de classe allemand, très hipster (bien que je ne connaissais pas ce mot-là à l’époque), et nous nous étions rendus, lui en fringues de hipster, moi en costume noir acheté à des malfrats à Shinjuku, pour la réunion d’explications.
(Tiens, je me souviens de ton pote hipster, j’ai failli le citer. Parce que, hipster ou pas, il faisait vraiment tachon à être le seul sans costard ! Dracul-cul lui lançait des flammes avec les yeux, c’était très divertissant depuis ma chaise)

Il y avait en effet beaucoup de monde, des Japonais surtout. Je comprenais pas grand chose, et je n’étais pas très confiant dans mon japonais, mais je devais savoir baragouiner suffisamment, tout du moins pour être sélectionné à l’issue de cette rencontre dans mon groupe. J’étais alors associé à Lucy Liu, à une latino-américaine qui étudiait les mangas dans une école privée et enfin à un autre étudiant coréen à l’air dégingandé. C’est la première fois que j’ai vu Sonia. Sur le moment, peut-être était-ce ma connerie d’alors, mais j’ai été surpris de voir une autre Française dans ce contexte. À vrai dire, j’avais peur des étrangers au Japon, parce que c’est souvent rempli de fanboys, fangirls, et quand ils parlent tellement bien japonais, c’est qu’ils ont une chance de vouloir imiter les originaux, et ça fait de vrais psychopates sociaux. Dracu-cul en était un vrai exemple, et Sonia pouvait l’être.
(Et encore, tu ne savais pas que  je m’habillais en personnage d’Alice dans la rue et pleurais en coeur avec les candidats de Secret Story devant ma télé.)

Lors de cette étape de sélection des stagiaires, je dois avouer que Lucy Liu était brillante : elle proposait des idées (à vrai dire, toutes les idées), et de mon côté, c’était sans doute plus facile d’essayer de baragouiner des mots en japonais pour apporter de la merde, tandis que le coréen et la latinoaméricaine acquiéssaient, terrorisés par les Japonais qui prenaient des notes à nos côtés. Peut-être que je faisais aussi équipe avec le fana de Dieu et Machu-Picchu, car je garde le souvenir que nous étions allés prendre un café dans une chaîne semblable à Starbucks à côté du travail, et étonnamment, j’en ai encore la carte de fidélité dans mon porte-feuille.
(Mais ça, on sait que c’est parce que dans ton for intérieur, tu rêves de faire ton grand retour la cape au vent chez PQFlex pour pouvoir parler de Jésus chaque jour avec le fou de Dieu devant un bon café serré. Ne te mens pas à toi-même, tu ne trompes personne.)

En fait, je souhaiterais ici plutôt porter le témoignage d’autres événements, mais surtout des plus marquants, perçus à travers les yeux de quelqu’un qui ne parlait pas suffisamment bien japonais. Enfin, de quelqu’un qui pouvait en gros comprendre les consignes de son travail, mais maladroitement se justifier dans cette langue ou de travailler avec les autres stagiaires dans une langue autre que l’anglais.

C’est vrai que l’atmosphère était étrange. Je sentais bien que le fana de Dieu avait quelque chose qui tournait pas rond, mais je n’avais pas compris (ou ne me souvenais pas) que ça pouvait venir de ses croyances. Il n’était pas de Waseda, il s’était simplement fait prendre en photo devant le bâtiment et, m’avait-il confié, espérait prétendre qu’il en était diplômé.
(QUE… QUOIIIII ???? Pendant toutes ces années j’ai gobé son odieux mensonge ! Diantre, les chrétiens ne sont plus ce qu’ils étaient… Je ne sais pas si je suis offusquée d’avoir été flouée par ce foutriquet de bas étage ou rassurée que Waseda ne compte pas entre ses prestigieux murs que des cas sociaux au sommet de la débilité. Sinon pour ce qui est de ses croyances, le christianisme est la première religion de Corée du Sud. Seulement au Japon, les « églises » s’apparentent bien souvent à des sectes -avis personnel-, donc il arrive que ceux qui continuent de pratiquer en arrivant ici finissent fous de Dieu. J’en connais encore deux trois autres comme ça.)

Son parcours et sa volonté, à trente ans passé, de mendier un visa de travail pour le Japon m’avait fait le prendre en pitié (j’avais 20 ans à l’époque). C’était la même chose pour la saucisse allemande, dont le visage était vraiment diforme, quelque soit l’expression qu’il prenait.
(C’est vrai qu’il avait toujours des expressions faciales des plus fascinantes, comme s’il n’était pas allé aux gogues depuis plusieurs semaines ou qu’on lui mettait les couilles dans un pressoir. Il aurait dû faire acteur pour un clip de James Blunt.)

Ca m’a toujours surpris de voir combien ce genre de personnes en Europe finissaient par se retrouver plus ou moins liés avec le Japon, et j’ai encore du mal à me l’expliquer.

Dans cet ensemble, Sonia était vraiment comme une bouffée d’air. Ceux qui ont l’expérience de l’expatriation savent combien c’est réconfortant de rencontrer un compatriote, et c’est bien évidemment le cas au Japon. L’ambiance au travail était particulièrement pénible, et Dracu-cul ne faisait rien pour arranger l’afffaire.
À vrai dire, j’étais au départ fasciné par le personnage. C’était la première fois que je croisais un homme qui s’épilait les sourcils ; à l’époque, les racailles françaises ne s’étaient pas mises à cette mode. Il s’habillait aussi avec élégance, mais dans un style un peu trop marqué pour que cela passât dans un environnement de travail européen. Il avait une raie au milieu avec des mèches qui retombaient sur le côté, un peu comme les Japonais pouvaient parfois s’imaginer les Européens. Et aussi des chaussettes en soie de marque, nous en avions longuement discuté par-dessus nos écrans à tube cathodique.

Mais derrière l’apparence est vite apparu le personnage. Nous devions écrire notre présentation pour que nos collègues japonais connussent nos parcours respectifs. Ce couillon, d’alors 24 ans, avait mis une photo de lui le buste presque de profil, et le visage presque de face, avec le nez légèrement surrélevé, ce qui se faisait soit chez certains autoportraits de bourgeois aux débuts de la photographie, soit chez certaines poufs narcissiques, soit je ne sais pas vraiment. De son autobiographie résumée, j’avais retenu l’expression de la « top business school in Canada », ce qui laissait craindre le personnage.
(Ah ouiiii, sa biographie résumée à être diplômé d’une université au top du Canada, ha ha ! C’est tellement modeste, tellement lui… J’ai envie de lui écrire une chanson et de danser la Béla Bartók en sa mémoire.)

Nous avons eu des relations, en sus des problèmes racontés par Sonia, très tendues. Pour ma part, je me permettais de lui adresser la parole en anglais, tandis qu’il me répondait systématiquement en japonais, avec un visage froid, implacable, qu’il devait vouloir prendre pour le signe de son sérieux. Il ne m’impressionnait pas, mais son attitude me laissait vraiment transparaître un caractère de psychopathe en puissance.

Au final, c’est cette expérience en entreprise au Japon qui continue de me surprendre. Le PDG de la boîte, c’était un immigré mégalo. Dans l’espace détente, on pouvait notamment consulter ses livres autobiographiques, dans le genre de « travail sur soi » comme c’est le cas de beaucoup de livres édités au Japon, dans lesquels il relatait son parcours d’entrepreneur et de vainqueur. Après tout, il était parvenu à fonder une boîte qui réussissait pas mal, de plus de 100 employés, en ayant commencé SDF (enfin, de ce qu’on m’avait raconté). Un jour, on nous avait réuni, stagiaires, dans la grande salle pour une conférence de ce bonhomme. Il nous avait parlé, avec pour support des diapositives portant la mention « Confidentiel », d’Hegel et du principe « thèse-antithèse-synthèse », avec beaucoup de fierté, tandis qu’à la fin de sa prestation, les employés japonais applaudissaient avec beaucoup d’enthousiasme tandis que nous autres étrangers avions sans doute plus de difficultés à le feindre.
(Oui voilà un personnage censuré de mon poste précédent : le président. Un personnage réellement haut en couleur dont on entendait le rire tonitruant faire trembler les murs de tout l’open espace à chaque réunion dans son bureau. Il avait été effectivement SDF pendant sa jeunesse, il y avait une interview de lui traduite dans toutes les langues sur le site de PQFlex. Il disait que c’était à ce moment-là qu’il avait appris les véritables valeurs de la vie et de partage, et l’envie de créer PQFlex pour venir en aide aux gens, supayr. En d’autres termes, qu’il était devenu un bon gros bisounours qui s’en fout plein les fouilles avec des services de Q&A pompés sur Yahoo!. Je n’étais pas là le jour de sa conférence devant la foule en délire mais j’imagine fort bien les Japonais découvrir avec passion le concept de Thèse-Antithèse-Synthèse qu’on apprend au collège avec son vieux Power point moisi super »confidential »… Des barres de rire. « Et la semaine prochaine, réunion des plus secrètes en collaboration avec la CIA sur le sujet on ne peut plus explosif des « introduction, conclusion »… Non y a pas à dire, la vie à PQFlex n’était pas sans adrénaline.)

Un autre événement marquant a été celui de nous convier à la réunion de début de semaine. Ca serait sans doute trop long à raconter dans les détails, mais je m’étais levé à 6 heures pour arriver à temps pour la réunion de 9 heures. Le temps de trajet faisait, qu’à l’habitude, j’arrivais au bureau comme une fleur vers 10 heures, alors que tout le monde travaillait et que c’était sans doute un affront dans la culture business locale, mais je prétendais que je ne m’en rendais pas compte pour m’offrir le luxe de me lever à 7 heures les jours où je travaillais. La boîte remboursait les transports en commun, et alors je me permettais de prendre le monorail deux stations (à 2 euros le ticket) pour rejoindre la gare qui me menait pour 4 euros au siège social de la boîte, au lieu de marcher trente minutes en faisant l’ascension d’une longue colline.
Bref, cette réunion du lundi matin était étrange. C’est d’ailleurs la veille du coup de gueule à l’issue duquel je ne suis plus jamais revenu. À neuf heures précises, un homme s’est muni d’un porte-voix et a commencé à hurler des paroles incompréhensibles pour moi. Les salariés, qui devaient prétendre qu’ils travaillaient, se sont mis à se lever et à bouger dans tous les sens (sans doute prétendaient-ils quelque chose?), puis nous avons chacun tiré au sort dans une boîte un petit morceau de bois sur lequel figuraient deux nombres. Le premier signifiait le numéro de notre groupe (et notamment le numéro de notre prise de parole) et le second notre numéro de prise de parole dans le groupe. J’avais moi-même le numéro 1 dans le groupe, et devais donc prendre en notes les échanges dans le groupe, et ensuite les restituer dans le mégaphone en japonais lorsque ce dernier nous parviendrait. En vain, j’ai essayé de troquer mon numéro avec un de mes collègues, mais ils avaient l’air bien contents de ne pas avoir la charge de ceci.

On nous a ensuite donné une feuille de papier avec un ordre du jour, ainsi que deux petites feuilles de papier. Ces petites feuilles, elles étaient ensuite mises à l’espace détente, et servaient à retranscrire les témoignages des employés sur quelque chose de bien qui s’était passé dans leur vie récemment. En lisant ceci, peut-être que ça devait jouer un rôle de réconfort pour celui qui les lisait ? Enfin, le principe me paraissait pathétique. Je me souviens d’une collègue de mon groupe qui devait avoir une trentaine d’années et racontait « oui, je suis sortie avec des amies vendredi soir, nous avons mangé au restaurant et beaucoup discuté. C’était très agréable ».
Ici, c’est le genre de situation où le fossé culturel et la barrière de la langue vous empêche de raconter une grosse connerie. Mais globalement, je savais que je devais pas m’attendre à « ouais, j’ai chopé une bonne meuf en boîte ce week-end » ou « oh j’ai testé de nouveaux champis ».
(Ce que tu décris ici, c’est ce qu’on appelle le « chôrei » (朝礼) soit en gros les salutations/politesses du matin. Je l’avais évoqué dans mon billet sur mon baito  où là-bas on faisait cette réunion pour répartir les tâches ménagères. Dans une grosse boite comme PQFlex, évidemment ils avaient un service pour l’entretien des locaux, donc ils utilisaient le chôrei pour renforcer les liens entre les employés. C’est pourquoi on devait faire des groupes tirés au sort, se raconter un moment heureux de notre vie privées et autres. Généralement tout le monde se contente de dire des banalités et de se répondre par des « wouaaaah » faussement impressionnés. Ce que le « maitre de cérémonies » gueulait dans son porte-voix, c’était l’annonce du commencement du chôrei et -entre autres- les résultats de la semaine de chaque service, avec félicitations pour les meilleures équipes. Chaque équipe devait aussi proposer une idée pour améliorer tel service. Bref c’était censé être un moment de partage, d’expression libre et de productivité. Dans les faits, ça gonfle un peu tout le monde je pense car- comme c’est tombé sur toi -on doit faire un rapport à haute voix devant tout le monde de tout ce qui a été échangé dans le groupe mais aussi faire un rapport écrit (ce qui était tombé sur moi). Personnellement j’avais cours, mais Yamada m’avait supplié de venir car c’était « super-important » et j’avais donc demandé de m’absenter exprès pour ça. Quand j’ai vu que c’était simplement pour un chôrei bordélique, je me suis sentie légèrement escroquée… Toutes les entreprises ne pratiquent pas forcément le chôrei aujourd’hui, mais par exemple mon entreprise actuelle impose en contrepartie le « shuffle lunch » où une fois par mois, on tire au sort des groupes de trois et on est obligé d’aller manger avec les collègues de notre groupe pour se raconter nos vies…)

Nos vies de stagiaires étaient assez pénibles. On échangeait et discutait parfois, par dessus nos ordinateurs. Lucy Liu était vraiment jolie, mais elle avait une force et une violence intérieure que je ne me souviens pas avoir rencontré depuis. Elle était étudiante dans une des meilleures université du Japon, en échange, mais était particulièrement retranchée sur ces idées. Sonia a parlé de l’histoire du Dalaï Lama, pour ma part, je me souviens de la fois où je lui ai demandé ce qu’elle pensait des pandas. « Je les déteste, c’est un animal minable, fainéant et qui ne sert à rien. Je préférerais qu’ils crèvent tous ». Cette affirmation était prononcé avec tellement de conviction qu’elle ne laissait aucun doute possible sur un hypothétique second degré. Je savais que nous ne serions pas amis, mais par hasard, nous nous sommes retrouvés à l’aéroport du Kansai (Osaka), quelques jours après le tsunami de mars 2011, alors que beaucoup d’étrangers quittaient le Japon en craignant les éléments radioactifs. J’ai alors rencontré son copain pour la première fois, un grand dégingandé lui aussi, à la gueule tordue. J’ai cru voir sur Facebook qu’ils se sont désormais marié, qu’elle est retournée au Japon et travaille pour Sony.

Une autre fois, Yamada est venu me voir. « Étienne, qu’écoutez-vous comme musique ? ». J’avais l’habitude au travail d’écouter mon iPod. Au final, après avoir rencontré beaucoup de community managers et autres professions de créatifs du web parisien, n’écouter que de la musique au travail, c’est presque manquer de professionnalisme. « Oh, c’est un label parisien de musique électronique, « Kitsuné ». Vous vous intéressez à la musique ? ». Notre conversation n’a pas duré longtemps, et elle m’avait semblée étrange. Maintenant, et peut-être même sur le moment, j’avais compris que Yamada essayait de me suggérer poliment de ne pas me servir de mon baladeur au travail, mais je m’ennuyais suffisamment avec les autres pour prétendre ne pas avoir saisi cette suggestion.
(Petit fripon.)

Il m’est arrivé à deux reprises de faire des traductions foireuses, ce que le fanatique de Dieu n’avait pas manqué de remarquer. Le programme n’était pas suffisamment élaboré pour, qu’une fois postées, les contributions puissent être supprimées ou modifiées. Il a s’agit deux fois de traduire des questions bidons des autres employés. Une, c’était « Le Japon est-il le seul pays à manger du poisson [+ idéogramme de la vie, de la naissance] ». J’avais simplement supposé qu’il s’agissait de poisson frais, et j’avais traduit de sorte vers le français. Sonia a fini par m’expliquer, après les moqueries, que « nama / 生 » signifiait « cru ». La seconde portait sur des boissons. Pour ceux qui étudient le japonais, les caractères qui précédaient boisson portaient des clefs qui me paraissaient excessivement fortes : montagne, feu … Sans doute était-ce idiot, mais j’avais fait la supposition qu’il s’agissait d’alcool fort. Ma traduction était donc « Quels alcools forts préférez-vous ? ». À la réunion avec Dracu-cul qui a suivi, alors que nous devions apporter un retour sur l’expérience d’utilisation, le fana de Dieu s’exprima en ces termes : « oh, on ne peut pas modifier les contributions. Par exemple, Machin, Machin (ndlr, mon nom de famille) (en me pointant du doigt) a traduit « bnjflrf » par « alcool fort », lol lol lol ».
Débile.
(Petit exemple qui résume bien les guéguerres dignes des petites terreurs de CP au cours de ce stage. C’est assez ironique quand on voit la gueule des traductions que lui-même faisait. C’est vrai qu’il aurait été plus « professionnel » de vérifier le mot que tu ne connaissais pas – c’était gazeux au passage- avant de traduire autre chose. Mais le professionnalisme n’était certainement pas le thème de ce stage alors…)

Puis est venu cette consigne des 200 amis à ajouter sur nos comptes privés. Lucy Liu ainsi que d’autres nous avaient informé qu’ils créaient de faux comptes, et moi-même avait décidé de reporter cette tâche à plus tard. Au pire, qu’importe si je me faisais renvoyer, je n’étais qu’étudiant d’échange au Japon, et ce travail, bien qu’il rapportait 8 euros de l’heure, était particulièrement stressant et me bouffait pas mal de mon temps libre. Mécaniquement, j’ajoutais les suggestions d’amis, y compris tous les collègues japonais de la boîte, ainsi que les faux comptes. Si Dracu-cul avait réfléchit, il aurait compris que des Occidentaux n’auraient jamais créé, par exemple, un faux compte d’Australien en indiquant qu’il n’aimait que « le surf ». Surtout, et je crois que ça a été le plus gros problème, ces comptes ont été créé sans suffisamment de protection, si bien que Dracu-cu était dans la capacité de voir que ces « Australiens », « Américains » n’avaient que quelques rares amis dans le monde, qui avaient tous comme point commun de travailler à QPFlex.
(Ne jamais sous-estimer la connerie humaine, je suis sure que quelques infirmes du bulbe occidentaux auraient été capables de créer ces comptes clichés au possible et puant le fake à dix kilomètres comme le compte vide d’un Australien qui aime le surf et tous les employés de PQFlex… Ce qui est plus difficile à imaginer, c’est que ce sont des étudiants de grandes écoles qui l’ont fait. La réalité dépasse bien souvent la fiction mon pauvre ami ! Ceci dit j’avais oublié ce genre de détails et je suis morte de rire : c’est encore plus pathétique que dans mon souvenir ! Et je ne me souvenais pas non plus que tu avais « participé » en ajoutant machinalement les suggestions d’amis des fautifs… Tu m’étonnes que la France fût en disgrâce !)

Nous avions donc fait des heures supplémentaires (enfin, c’est comme ça que je le considérais), et j’étais sur le point de partir lorsque Dracu-cul nous convoque, les trois derniers, à une réunion d’urgence, à 20 heures. Sonia, le fana de Dieu et moi-même allons donc en salle de réunion. Je m’installe au milieu, ai Sonia à ma gauche, le Coréen à ma droite. Nous attendons quinze minutes (l’horloge était au-dessus de Dracu-cul). Il consultait son ordinateur, l’air agacé. Puis il commence à nous hurler dessus, en japonais. Bien entendu, je ne comprenais rien, et ne me rendais même pas compte qu’il hurlait parfois en dialecte d’Osaka. Dans les secondes qui suivent, le Coréen commence à se recroqueviller compulsivement sur sa chaise, et s’incline à une vitesse folle en demandant pardon. À ma gauche, Sonia, sans doute agacée par la manière dont ce crétin nous avait traité jusqu’à présent, garde son mal en patience.
La scène était vraiment comique. Je crois que son visage tendait vers le rouge, tandis que ses mèches de cheveux, sans doute soignées au quotidien, voletaient à mesure que sa tête faisait des mouvements compulsifs pour accompagner sa colère. L’histoire des sourcils faisait que je commençais à equisser un sourire, puis il m’a pris à parti. En parlant des faux comptes, il avait remarqué qui, de nous trois, avait ajouté le plus de faux amis. Il eut fallu que ce soit moi. Il m’accusait donc de les avoir créés, et je pense lui avoir répondu que non. Puis il a pris Sonia à partie, et ils se sont échangés d’abord calmement des propos en japonais.

Ce n’est pas parce que j’écris pour son blogue que j’écris ça, mais elle m’a paru avoir tellement la classe à ce moment-là. Les deux parvenaient à s’échanger à une vitesse folle (et à haute voix) des propos en japonais dont je ne comprenais rien. Mais je devinais bien qu’elle devait remettre à sa place ce crétin des Carpates. Ca faisait aussi très longtemps que je n’avais entendu personne hausser la voix, et cette affaire m’a fait me souvenir qu’il était possible de s’affronter directement, entre individus, y compris au Japon. Puis, après l’avoir sans doute insulté, elle a annoncé quelque chose dans le genre « c’est bon, je me casse » et a claqué la porte derrière elle. Les têtes de nos collègues japonais, interloqués de l’autre côté de la baie vitrée, étaient très amusantes.
Moi-même, je me suis levé et ai quitté la salle. De toutes façons, la réunion n’avait plus à avoir lieu.


(Désolée, j’ai arrêté de lire à « elle m’a paru avoir tellement la classe à ce moment-là » qui je crois est la phrase la plus importante de ce témoignage. Elle m’émeut à chaque relecture -en boucle cela va de soi. Je devrais mettre cette citation en gros sur ma bannière. Ou en faire un T-Shirt.)

Bref la suite, vous la connaissez, notre cher Étienne a démissionné et eu le bon sens de ne plus jamais refoutre les pieds chez PQFlex. Merci d’avoir proposé de donner ta vision des choses, en plus ça fait un peu « les coulisses du blog, ce qui a été coupé au montage » y tout y tout…
Ainsi se clôt le chapitre PQFlex. A moins que je continue à me payer vos tronches en demandant un témoignage à Machu Picchu, en espagnol bien entendu.
Ou mieux, au fou de Dieu.

Je vous laisse d’ailleurs sur un extrait de sa bonne parole que j’ai cherché vilement pour me moquer que j’ai trouvé par hasard, pour vous offrir un aperçu cadeau du personnage.

garyo
PS : J’avais promis dans un passé lointain que la personne qui posterait le 1000ème commentaire recevrait un cadeau. Nous en sommes à 987… Qui sera l’heureux élu ?

20 thoughts on “Vis ma vie de stagiaire : extended cut

  1. Alexiel

    Sympa d’avoir la vision d’Etienne.
    J4aime bien sa description de Dracul-cul, il m’avait l’air drôle (je crois que j’aurai eu envie de rire en voyant le personnage de prime abord)

    En tout cas tu vois t’as trop la classe Sonia !

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  2. Danie

    Quand y’en a plus, y’en a encore ! Oh c’est génial, j’aime beaucoup le témoignage, si ça suffisait pas, ça te fait te rendre compte encore plus de l’énormité de ce stage!

    et quand je te lis, je veux revenir au Japon ;_;

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  3. Mike

    Pas mal ce post aussi! En effet ca fait un peu « behind the scene » c’est cool ! En tout cas, merci pour ces partages ca fait plaisir!
    J’attends le prochain post avec impatience!

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  4. miyabi

    Je n’ai retenu que –> « Sonia a la classe »!

    Merci Etienne pour ton récit, je ris toujours autant, j’ai presque l’impression d’être dans la salle de réunion avec vous <3

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  5. Edith

    C’est cool d’avoir aussi la vision d’Etienne sur cette histoire !! 😉 et no nSonita pas reçu ta carte sniff…

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  6. Archessia

    Excellent le concept du témoignage en plus ! =D
    C’est bien urbain de la part d’Etienne d’être venu apporté sa pierre à l’édifice qu’est ce récit de stage absolument époustouflant.
    Et je ne doute pas un seul instant de ta classe internationale durant cette scène =3

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  7. Tia

    Oh vouii le fou de Dieu ou Machu Pichu !
    En fait, je ne me lasse pas de cette histoire de PQ Flex ! 😉

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  8. Rill

    Tous ces faits me laissent sans voix. [i](ce qui est fort, car même après 5heures de karaoké en pleine nuit à chanter du métal dans un micro cassé, je suis fraiche pour vendre du croissant)[/i]

    Venant de grandes sociétés japonaises, cela n’a pas grand chose d’étonnant, et en même temps c’est incroyable.
    C’est le genre de choses que l’on sait exister, et auxquelles ont se prépare lorsqu’on cherche du sérieusement travail ici. Le genre de chose qui nous décide plus que tout à donner le meilleur de nous-mêmes, montrer qu’on peut triompher. Montrer que même une française peut travailler jusqu’à 10h du soir sans se faire payer les heures supplémentaires par un patron pervers [url=http://rillinjapan.over-blog.fr/article-vert-de-gris-112475320.html](…)[/url], ou supporter un connard comme superieur, et fermer sa gueule en souriant comme une parfaite petite employée bridée. Mais lorsqu’on se retrouve en face de la chose, on tiens le temps qu’on peut, et puis on se rend compte qu’il faut bien au moins toute une enfance dans un système pareil, doublé de toute une famille de moutons, pour arriver à supporter ça.

    D’un coté, je t’admire énormément pour avoir eu le courage de faire ces séminaires de présentation et tout le mic-mac qui va avec. De l’autre, je me demande pourquoi tu es allée chercher si compliqué. [i](mais depuis quand Sonyan fait des choses simples ?)[/i]
    Car presque toutes les boites avec qui j’ai bossé m’ont proposé illico de changer mon visa. Que des petites boites sans prétention, avec un salaire correct et un boulot sympa.
    mon sushi à moi, c’est le manque d’études universitaires :/

    En tout cas, tu as eu de la chance de ne pas avoir à faire de photocopies comme tu le dis si bien, et puis d’avoir finalement trouvé ce que tu cherchais. Mais ce genre de souvenirs, quoi qu’ils puissent nous apprendre, on les éviterais volontiers, hein !

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  9. Sibylle

    Y’a que moi qui trouve que la confrontation Dracul-cul/Sonia a des airs de Darcy/Elisabeth Bennet? 😀

    Es-tu sûre de ne pas avoir laisser s’échapper l’homme de ta vie?? O.o

    (mouhahahaaaaaaaaa)

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  10. Sonyan Post author

    Alexiel >>> Outre le fait que ça m’arrangeait bien, oui c’est sympa d’avoir son témoignage ! Déjà parce qu’il écrit bien donc que c’est agréable à lire, aussi parce que ça a apporté d’autres trucs que je n’avais pas dit ou ne savais pas (enfoiré de mytho de fou de dieu !) et puis ça donne un peu de crédibilité à ce que je dis. C’est tellement gros des fois !

    Danie >>> Ouais, du bonus ! Moi même ça m’a plu de pouvoir lire la même expérience vue par quelqu’un d’autre 🙂
    Reviens vite ma danette qu’on chante Mecano sous les typhons 🙂

    Mike >>> Merci à toi d’avoir pris le temps de me laisser une petite gribouilles, ça fait toujours plaisir !
    J’essaie de publier le prochain au plus vite !

    miyabi>>> C’es bien tu as retenu l’idée essentielle de ces deux témoignages, ha ha. Heureusement que t’étais pas avec nous à cette réunion, je pense que le fou rire n’aurait pas pu être réprimé… Dracul-cul en aurait eu les sourcils décoiffés.

    Edith >>> Arf… je t’en renverrai une cet été, je revérifierai ton adresse avant en privé !

    Archessia >>> Je suis sure que Dracul-cul revit cette scène en cauchemar, se réveillant trempé de sueur dans ses draps de soie blanc cassés. Ptet même bien que si mon job d’après était si ouf, c’était parce qu’il m’avait jeté un sort pour se venger.

    Praxele>> Le Fada de Djizeus a ses fans ! J’ai une ou deux autres adeptes, pour ça que j’ai mis une petite capture cadeau :p

    Tia >>> Ca va finir en roman aux personnages croisés à la Game of Thrones.Game of Interns. Dracul-cul aurait fait un superbe roi Joffrey.

    Rill >>> Un karaoke avec un micro cassé !? Mais c’est INADMISSIBLE !!!!!
    Pour ma part, les heures sup etc. ne me faisaient pas spécialement peur, mais je ne m’attendais pas à autant de mollesse. Quant aux expériences du style que tu as vécu dans le blog que tu as mis en lien, j’ai eu un genre d’expérience de ce type aussi. Non ce n’est pas ça le japon, mais ça existe, c’est comme ça. Et des fois on tombe dessus, et on a beau avoir toute la bonne volonté du monde on ne peut pas l’accepter.
    Sinon pour le fait d’avoir choisi de faire compliqué, au final c’est surtout que je ne savais pas comment m’y prendre. Je ne connaissais vraiment personne, les gens à qui je demandais conseils ne savaient pas trop quoi me répondre, et finalement l’école qui m’a beaucoup soutenu me présentait ce genre d’événements et j’ai commencé à participer. J’ai aussi fait d’autres demandes spontannées ailleurs, mais je n’ai pas eu cette chance de rencontrer des gens prets à changer mon visa. Toutes les entreprises que j’ai rencontré (sauf la dernière) étaient très frileuses sur le sujet.

    Mimi >>> Masochiste !!! Je me demande s’il aurait écrit lui aussi que j’avais la classe… ha ha

    Sybille >>> AND THIS IS OUR 1000th COMMENT !!!!!! Pour la peine, je ferme les yeux sur l’HORREUR que tu as osé poster !!!

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  11. Alexiel

    Mais oui je suis trop pour avoir le point de vu de Dracul-cul !
    Et le fout de Dieu aussi !
    Ah et Yamada et tout le monde tiens ! xD

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  12. Cha'Lumeau

    Perso, le témoignage d’un mec qui a étudié dans un campus construit sur un ancien cimetière, ça me fait penser direct à « Poltergeist ».
    Etes vous bien sûrs que PQFlex a réellement existé? N’avez vous pas senti par moments le souffle chaud d’un fou de dieu dans votre cou?
    Vous avez bien fait de fuir avant que les esprits du web ne se révoltent face à cette entreprise des plus hasardeuses…

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  13. Sonyan Post author

    Alexiel >>>
    J’ai plus qu’à sortir un bouquin si je fais tout le monde ! Pour la version du Fou de Dieu, je crois que je commencerais à me taper la tête contre les murs au 50ème « Bro ».

    Alice >>> Mais de rien 🙂

    Cha’Lumeau >>> Tiens maintenant que tu le dis… !!! Ha ha ha
    Il est vrai que c’est digne des meilleurs films d’épouvantes japonais…

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  14. Elodie

    J’ai adoré ton post.Cela fait un moment que je lis tes posts et j’apprécie vraiment le second degré dont tu fais preuve =) Même si cela a du être une bonne expérience , la vie de stage au Japon n’a pas l’air engageante.J’ai justement un stage à faire et je comptais le faire la bas et la ça fait un peu peur. Surtout que ca fait quelques années que je suis dans une fac où les profs japonais se croient au Japon et te traitent comme de la merde, je pensais me débarrasser du statut du sous fifre qui rampe par terre .
    En tout les surnoms de Dracu-cul et l’adorateur de Dieu ( et ses reponses aux questions ) m’ont bien fait marrer ^^
    bonne continuation =)

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  15. Sonyan Post author

    Elodie >> Merci beaucoup jeune demoiselle (ou vieille bique, au final je ne sais pas ton age ni rien, he he).
    Franchement au Japon, a chacun son experience donc tu peux tres bien tomber sur un endroit clean et faire un bon stage. C’est tout le mal que je te souhaite en tous cas.
    Enfin si vos profs de Japonais vous font la vie dure, tu seras peut etre un peu moins depaysee, pour ma part en France nos profs japonais etaient plutot « cools », voire desinteresses pour certains…

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